Revoir Psycho une fois son histoire connue, ses scènes iconiques vues et revues, sa partition musicale en mémoire alors même que les premiers titres apparaissent à l’écran, nous invite à saisir l’intelligence d’une mise en scène qui se plaît à incarner la schizophrénie de son protagoniste principal en disséminant nombre de signes et de symboles : deux sœurs qui se ressemblent à les confondre, rappelant d’ailleurs les deux femmes de Vertigo, deux inspecteurs, l’un appartenant à la police, l’autre indépendant, deux tableaux représentant chacun un oiseau dans la position inverse de l’autre, des jeux de miroir incessants. Tout ici fait sens, les séquences se répondent, plongeant le spectateur dans un kaléidoscope mental qui le convient, par la réflexion de motifs, au cœur de la folie humaine. Nul hasard, par conséquent, si Gus van Sant signera plus tard un remake du film : soit un double, le double d’une œuvre travaillée par le double. Cette esthétique sert à Psycho pour méditer sur la providence et le possible rachat des fautes : il n’est question que de « neutraliser le malheur », mais cette neutralisation, entendue comme mise à mort et retour à l’équilibre, reste de surface, de l’ordre du matériel et du monétaire, car l’individu ne saurait sortir de ses tourmentes intérieures. Ce que nous voyons, pendant près de deux heures, n’est autre qu’un vaste sentiment de culpabilité qui rend les visages préoccupés et les gestes suspects : la fugitive sème le trouble en raison de son comportement étrange, Norman Bates ne parvient à divulguer son énervement à l’enquêteur, Sam Loomis n’injecte pas suffisamment de spontanéité dans sa discussion entreprise avec Norman pour le duper. Hitchcock capte à merveille le débat de l’homme avec sa conscience, incapable de revenir en arrière, incapable de tout recommencer, écrasé sous le poids d’une culpabilité invivable dont le seul remède est la mort. Les principaux personnages sont des captifs, évoluent dans une temporalité arrêtée entre un passé qui ne passe plus, un présent qui regarde en arrière, un futur inaccessible. Le regard lunetté de l’agent de police glace autant que celui de Norman, puisque travaillé par la couleur noire qui tantôt teint les lunettes de soleil tantôt cerne les yeux. Le cinéaste compose son œuvre à la manière d’un feuilletage : l’intrigue avance de façon sécante, par de constants retours en arrière, de même que les personnages luttent avec leur passé et progressent par palier. Marion Crane roule jusqu’à l’hôtel, Milton Arbogast pénètre dans la demeure des Bates, Lila Crane accès au sous-sol et à la fameuse mère tyrannique. Feuilletage qu’annonce d’entrée de jeu le générique de début, faisant apparaître et disparaître les titres en les stratifiant par lignes. Un chef-d’œuvre de maîtrise et d’inventivité formelle, que l’on ne se lasse pas de revivre encore et encore.