A l’ombre de la canaille bleue est un film expérimental des années 1980 réalisé par un acteur-réalisateur, Pierre Clémenti, qui était déjà tombé dans la drogue, et je pense que ce film en est un peu l’expression ! Je pense d’ailleurs qu’il y a une dimension autobiographique ! Bon, pour dire les choses, il y a des expérimentations formelles sympathiques et le film a une narration audacieuse (voix off narrative avec images sans bruitage alternant parfois avec des dialogues eux aussi prononcés en voix off), le tout, accompagné, le reste du temps, par une bande son tout aussi expérimental que le film, quelque chose de planant, dissonant, métallique avec parfois des pointes un peu plus rock. Par moment, ça crée une véritable ambiance très dark réussi, d’autant que le film se veut radical, à la fois dans la nudité, la représentation des drogués, le côté crasseux du milieu junkie et underground. On sent qu’il y a quelque chose et par moment on peut se laisser prendre par l’atmosphère totalement décadente et sans lumière. Mais faut avouer que l’ensemble reste assez ennuyeux et sombre parfois dans le ridicule. Le film n’a strictement aucun budget, donc visiblement il a réellement été tourné dans les bas-fonds, et si ça donne au film un côté réaliste on voit rapidement apparaître des limites. L’image est souvent illisible à cause d’un éclairage douteux et d’une qualité médiocre, on se retrouve avec une bande de junkie tant pour représenter les junkie que les policiers et les leaders de ce monde dystopique (c’est une dystopie en effet) et il n’y a pas de jeu d’acteurs. Parfois c’est même tellement pas joué que j’ai eu du mal à comprendre le lien entre la narration (qui te raconte vaguement ce qui se passe) et ce que faisait les acteurs ! Le manque de budget transparaît jusqu’à des encarts textuels (oui il y a aussi des encarts textuels, surtout dans la seconde partie) avec des fautes d’orthographe. C’est hallucinant.
Quant à l’histoire… Le film est court, mais il paraît quand même vachement long ! Ok, c’est expérimental, le scénario se veut secondaire, mais faut pas pousser… A un moment donné on ne peut pas considérer un délire psychédélique comme une démarche artistique. Parfois, on comprend vaguement où veut aller le film, puis il y a un tunnel abscons qui s’engage et comme le film n’a strictement pas les moyens de représenter un monde dystopique compréhensible, que tout le monde est habillé pareil et qu’on voit à moitié les images, on comprend d’autant moins qui est qui (c’est bien simple, parfois on distingue si mal les visages qu’on ne sait plus qui est qui et qui fait quoi). En passant, j’ajoute que les surnoms des personnages sont souvent risibles, et ça m’a, honnêtement, sorti du contexte poisseux et austère du film.
Malgré tout, je ne peux pas dire que ce film n’a pas un petit quelque chose. Clémenti saisit sans doute mieux que bien des documentaires le côté hyper crasseux et répugnant du monde de la drogue et de ses corollaires, la prostitution, le crime, les overdoses… L’image cradingue, la musique dissonante, le fait que le réalisateur a sûrement choisi pas mal de seconds rôles issu du milieu même qu’il décrit (certains acteurs sont cités juste par leur prénom, alors…), tout cela participe de quelque chose d’assez réussi. Toutefois, avec une histoire bordélique, une technique tellement limitée qu’on peine à savoir ce qu’on voit, une voix off au propos pas toujours heureux (ça tend à ressembler à du mauvais Gainsbourg, même dans la façon dont c’est récité), le film peut vite devenir une torture à suivre sur 85 mn. 2.5