« Brigadoon » est la transposition à l’écran d’un immense succès de Broadway, qui triompha de 1947 à la fin des années quatre-vingts. La critique new yorkaise bien bornée, qui considère que le musichall est un art sérieux qui ne peut être traité que sur les planches, éreinta le film qui ne reçut pas la moyenne pour la plupart d’entre eux. Premier film en Cinemascope de Vincente Minnelli, qui tout en se plaignant de ce format s’en donne visuellement à cœur joie, mais en restant fluide, respectant ainsi l’élégance qui est sa marque de fabrique. Dans une Ecosse de studio aux décors et costumes magnifiques et colorés (tous deux nominés aux Oscars 1955), le réalisateur oppose plus que jamais deux mondes. Celui du rêve : Brigadoon, village qui semble appartenir à la même cartographie imaginaire que celui de « Wizard of Oz », dans la catégorie Shangri-La paradisiaque du “Lost Horizon” de Capra. Et la réalité avec New York, ses bars, ses restaurants, ses business man, ses traders et sa faune de snobs et snobinardes, fiancée en tête (Elaine Stewart). Le réel est un monde construit uniquement sur l’argent et ses fausses valeurs (paraître, consommation, arrivisme, toc) alors que le village surrané est la vie. La vraie. Minnelli et son complice Alan Jay Lerner sont dans leur élément : un conte romantique, poétique et sensible. Le film bénéficie d’un casting dirigé magistralement, avec en tête Gene Kelly (de très mauvaise humeur que le tournage se soit fait en studio) et de la lumineuse Cyd Charisse, bien que trop grande pour lui (même si elle ne fait qu’un centimètre de plus, classique de formation, elle danse sur les pointes). Pourtant cette œuvre, la plus minnellienne de toutes, n’atteint pas les sommets que sont « Chantons sous la pluie » et « Tous en scène . Les duos Cyd Charisse – Gene Kelly ne bénéficient pas de scores à la hauteur, car mélodiquement très aboutis (très musique romantique du XIXéme siècle), ils ne semblent pas conçus pour la danse. Malgré les textes remarquables de Lerner, le divorce avec la musique de Frederick Loewe amène le spectateur à s’intéresser aux paroles, à la chorégraphie, bref à analyser, éveillant un cerveau gauche dans un film purement cerveau droit. Ainsi ressortent essentiellement les grandes scènes collectives (The Heather on the Hill, I’ll Go Home with Bonnie Jean, et le medley de musique traditionnele écossaise pour le marriage) dont la forme et le fond sont en parfaite adéquation. La morale de ce film poétique veut qu’un amour sincère peut rendre tout possible. Les générations actuelles se réclamant d’écologie de manière vindicative, mais téléphone mobile et tablette à la main, égoïstes et archi rationnels, verront ce film comme un ovni ridicule, ses valeurs appartenant à un passé perdu depuis des années, qui ne ressucitera dans aucun vendredi du siècle.