La première pierre et la plus connue de l'oeuvre de Mankiewicz. Il dépouillera au fur et à mesure (jusqu'au génial Sleuth) ces jeux cruels de manipulation de leur contexte, mais ici c'est le milieu du théâtre et par extension Hollywood qui est le siège de ces mises en scène d'existences. Le film, très dense thématiquement, tient en un équilibre merveilleux. Peu de scènes finalement, mais exploitées au maximum et essentiellement à travers les dialogues, ce qui renforce l'analogie théâtrale. On se souvient de la performance bien connue de Bette Davis, et également du petit rôle de Marilyn Monroe (jamais aussi charmante que dans ses premiers petits rôles, voir aussi The asphalt jungle et Monkey business), mais c'est Ann Baxter, l'amante réfractaire du double Wellesien des Magnificent Ambersons, qui isse le film au sommet. La scène dans les toilettes est fabuleuse et résume parfaitement le film. Impossible de savoir qui sont ces personnes qu'on cotoie, mais elles-mêmes n'arrivent plus à se détacher de l'image qu'elles donnent. On peut légitimement penser que Margo ait du faire le même genre de choses (car si le talent est nécessaire, il n'est pas suffisant pour avoir sa chance, et cette chance il faut la fabriquer), mais le cycle s'accélère et devient plus violent, comme pour dénoncer le cinéma qui accentue le pouvoir de l'image et du star-system, et aussi l'aspect jetable des acteurs après utilisation. Eve est attirée par la lumière. Pour l'atteindre, une seule solution : oublier tout le reste et être prête à tout. Le problème, c'est qu'après avoir atteint l'objectif, elle est prisonnière de cette ambition et sent l'amertume et le désespoir poindre, comme ils le font pour une Margo qui souffre du temps qui passe. Les gens ne cessent jamais de se mettre en scène et tout n'est qu'artificialité. On aimerait haïr Eve mais elle n'a fait que jouer le jeu selon les règles, et sa dureté finale n'en fait qu'un personnage plus tragique encore. Intelligent, divertissant, génial.