L'arrivisme a un nom: Eve Harrington
Personne n'aura jamais su aussi bien retranscrire l'ambition de réussite dans le monde théâtral que Joseph L. Mankiewicz. Toute l'originalité de son film repose sur cette ambigüité constante, ces faux-semblants autour du personnage d'Eve et la méthode du flash-back est ici superbement utilisée puisqu'il constitue à peu près tout le film.
Eve est ambitieuse, manipulatrice. Elle se rapproche du personnage de Bel Ami, personnage sans scrupules qui utilisait les femmes au profit de sa carrière. Eve (Anne Baxter), quant à elle, trompe tout le monde avec sa fausse modestie même le spectateur qui au début la soutient et la trouve parfaite. Peut être trop parfaite pour vraiment être sincère. Seul Margo (Bette Davis, absolument épatante) voit sa vraie personnalité, c'est-à-dire une jeune "gosse" qui veut la remplacer. Ce n'est que dans la deuxième partie du film que ceux qui ont côtoyer Eve découvrent son côté arriviste et carriériste: on découvre alors qu'elle a menti sur son identité, sur ses véritables intentions, sur son caractère et sur toute son histoire.
Comme vous l'aurez sans doute deviner, EVE est une magnifique mise en abyme du théâtre (tel Birdman arborant le travail de création de l'acteur). Mankiewicz use de dialogues ciselés, profondément riches et développe habilement ses personnages plutôt sophistiqués. Outre le trio féminin, un rôle masculin attire particulièrement notre attention: c'est celui de Addison De Witt, le critique. Il voit ce que les autres ne voit pas, met à nu la dure réalité de ce monde sans scrupules et par la même occasion y trouve un certain avantage: c'est lui qui découvre l'identité de Eve et la fait même chanter. Le rôle de Marylin Monroe est également intéressant: celle-ci représente l'arrivisme par la beauté, elle-même sex symbol de son temps et encore aujourd'hui. Encore d'actualité de nos jours, c'est un grand film par son sujet atemporel.
Le final est significatif et cynique, accentué par cette musique qui monte crescendo: une autre arriviste du nom de Phoebe pointe le bout de son nez et son regard exprime une détermination sans nom, le tout en reprenant le caractère qu'adoptait Eve avec Margo (cf scène de la robe): trophée d'Eve à la main, celle-ci s'incline comme pour saluer la foule l'acclamant renforcé par le jeu de miroir; l'avenir est alors clair: Phoebe sera Eve et Eve sera Margo. En effet, dans la quête insatiable de gloire et de célébrité, il y a et y aura toujours, en quelque sorte, une nouvelle Eve... Il existe toujours une personne prêt à prendre votre place. C'est un système cyclique sans fin puisque chacun est dévoré par une ambition qu'il ne peut réprimer. Et tous les moyens sont bons pour assouvir ce besoin fou de reconnaissance!
On pourrait rapprocher EVE de Boulevard du Crépuscule (Sunset Boulevard) de Billy Wilder, autre film ayant pour thème la carrière d'actrice et véritable réflexion sur l'âge, la durée de vie d'une actrice… Quoiqu'il en soit, EVE est une œuvre complexe, époustouflante, hypnotisante, munie d'un charme certain. L'envers du décor est exhibé, servi par une réflexion intéressante autour du succès et de la soif de gloire et des méthodes pour y arriver. Le tout porté par des actrices rayonnantes et des dialogues très travaillés. C'est ça du cinéma intelligent! Un véritable chef d'œuvre comme on n'en fait plus de nos jours…