Cela commence par un grand moment éthylique et poétique, la description par Gabin du Yang Tsé Kiang, le fleuve bleu, avec ses millions de mètres cubes d'or et de fleurs qui descendent vers Nankin... Alors bien sûr, l'acteur cabotine à mort. Mais quel texte... Les dialogues de Michel Audiard apposés au roman d'Antoine Blondin, dont le film est l'adaptation, sont le régal de ce Singe en hiver qui demeure, avec le temps, l'une des oeuvres les plus mémorables sur la biture, sur une certaine philosophie de la biture. Où le flacon importe peu... "Si quelque chose me manquait, ce ne serait plus le vin, ce serait l'ivresse", dit Albert, le personnage interprété par Gabin. L'ivresse, c'est ici l'appel du large, les visions fantastiques, les rêves d'ailleurs qui libèrent des chaînes du quotidien, qui font oublier, par exemple, l'amour étouffant d'une épouse modèle mais gentiment emmerdante, qui n'offre que du "bonheur rangé dans une armoire"... Les deux personnages principaux sont présentés ici comme des princes de la beuverie, qui s'élèvent par leurs aspirations au-dessus de la plèbe picoleuse. "Vous avez le vin petit et la cuite mesquine, vous ne méritez pas de boire", lance Albert aux gens du port. De la rencontre entre ces deux aristos de la bibine, aventuriers perdus loin de leurs terres d'aventures, naît une brève histoire d'amitié ponctuée de coups de folie (la corrida avec les voitures, le feu d'artifices...) qui révèlent au passage l'excentricité d'autres villageois (le commerçant prêt à tout pour satisfaire ses clients, la religieuse qui parle anglais par snobisme...). Tout cela est assez jubilatoire. Pas parfait : aspect un peu décousu de la narration, quelques petites longueurs ici et là. Mais le cocktail dans son ensemble est détonant. Et touchant, aussi, par sa teneur en solitude, par sa nostalgie, par sa jolie métaphore filée des singes d'Asie, perdus dans les villes en hiver, et que l'on fait monter dans des trains pour qu'ils retournent chez eux... Il est ainsi facile d'éprouver une vraie affection pour ce mélange de drôlerie, de tendresse et de mélancolie, magnifiquement accentué par la musique de Michel Magne.