Ça carbure au picon bière et au calva, ça en a un coup dans l'aile, ça titube et ça se rejoue l'Indochine, la guerre, le Yang Tsé Kiang et Sun Yat Sen en chantant "Nuit de Chine, nuit divine, nuit d'amour". Entre 2 cuites, 15 ans de sobriété ! L'action se passe dans le village de Tigreville, un petit port du Calvados. Albert Quentin y est patron de l'hôtel "Stella", qu'il dirige avec son épouse, la bonne Suzanne (Suzanne Flon). Sorti indemne du bombardement allemand de son établissement en 1944, il a juré de ne plus toucher un verre. Et il a tenu. Mais quand débarque dans son hôtel le jeune Gabriel Fouquet, qu'il le voit traverser la rue pour aller noyer ses peines de cœur et de père au bar d'en face, la tentation est trop forte... Adaptation signée Verneuil d'un roman d'Antoine Blondin, "Un singe en hiver", sorti en 1962, réunissait pour la première -et unique fois- le duo Gabin/Belmondo, soit une confrontation mythique entre la star au talent confirmé et le jeune acteur prometteur de la Nouvelle Vague. Aucun des deux ne fait de l'ombre à l'autre dans ce film un brin macho-viril où la femme est cantonnée à un rôle passablement "bobonne". Et Michel Audiard, on s'en doute, en rajoute dans le sexisme d'époque. A noter que ses dialogues n'atteignent pas ici la subtilité de ses meilleures collaborations, les tirades d'alcoolo au bar étant parfois un peu lourdes. Sans fautes, par contre, pour l'excellente musique de Michel Magne, toujours présente à bon escient. Concernant les seconds rôles, on retrouve avec plaisir de grands noms du cinéma d'après-guerre, Paul Frankeur et Noël Roquevert en tête. Tonitruant en roue libre, Jean Gabin s'en donne à cœur joie dans le rôle de ce vieil homme renouant au gré d'une rencontre-miroir avec l'insouciance de sa jeunesse. On comprend qu'il savoure d'autant plus intensément ces instants de lâcher-prise qu'il pressent que ce seront les derniers. Face à lui, Jean-Paul Belmondo incarne avec une sorte de fragilité ce jeune père en souffrance, blessé par une rupture sentimentale récente et qui a bien du mal à communiquer avec sa petite Marie. Histoire de beuverie et d'amitié lors d'une rencontre de passage, "Un singe en hiver" est un film qui mérite vraiment d'être vu... mais qui, de par son sujet, plaira sans doute plus à un public masculin. Quant au titre curieux, le sens n'est expliqué qu'à la fin, dans un wagon de train...