Henry Hathaway (1898-1985) n’a jamais vraiment été reconnu à sa juste valeur parmi les réalisateurs de la grande époque classique d’Hollywood. Essentiellement considéré comme un spécialiste du western et réputé comme un véritable tyran sur les plateaux de ses tournages, il a eu la faiblesse d’avouer que fidèle aux studios qui l’employaient, il acceptait tout ce qu’on lui proposait. Une docilité allant à l’encontre de la doxa prônée par la critique européenne qui ne vénère rien tant que les « auteurs ». Sur le tard, des personnalités reconnues comme Bertrand Tavernier et Patrick Brion entameront une réhabilitation d’Henry Hathaway. Sa carrière s’étend sur 42 années et totalise plus de 60 films. Si elle compte en son sein près de vingt westerns, elle n’en demeure pas moins éclectique, le talent d’Hathaway s’étant exprimé de manière parfois très brillante dans des genres comme le film d’aventure exotique (« Les trois lanciers du Bengale » en 1935), le film fantastique (« Peter Ibbetson » en 1935), le film d’aventure maritime (« Ames à la mer » en 1937, « « Les gars du large », en 1938, « Les marins de l’orgueilleux » en 1949), le film noir (« L’impasse tragique » en 1946, « Le carrefour de la mort » en 1947, « Appelez Nord 777 » en 1948), le film à suspense (« Quatorze heures » en 1951, « Niagara » en 1953). « Appelez Nord 777 ». En 1947, Darryl Zanuck le patron de la Fox entend porter à l’écran l’affaire Joseph Majczek qui avait vu ce Polonais habitant Chicago se voir accusé avec un autre quidam du meurtre d’un agent de police alors que la ville est gangrenée par le trafic d’alcool depuis l’avènement en 1920 de la Prohibition. Il délègue la production à Otto Lang son ancien moniteur de ski qu’il a propulsé à ce poste stratégique en 1941. Le mogul souhaite que le film revête une esthétique documentaire ce qui implique des prises de vues sur sites réels dans Chicago. Ainsi la scène d’ouverture d’un réalisme saisissant. Hathaway qui vient de tourner « Le carrefour de la mort » pour le studio est naturellement l’homme idoine pour être à la tête de ce projet ambitieux. On pense tout d’abord à Henry Fonda pour tenir le rôle du journaliste du Chicago Times qui onze ans après que les deux hommes ont été chacun condamné à 99 ans de prison mènera l’enquête pour prouver l’innocence de Joseph Majczek. Retenu pour interpréter une pièce radiophonique, Henry Fonda fait défaut laissant la place à James Stewart qui est reconnu jusqu’alors pour ses rôles de jeune hommes plutôt gauche, et peu sûr de lui mais imprégné de valeurs morales qui l’amènent à se transcender en certaines occasions. Il brille alors chez Ernest Lubisch, George Cukor et bien sûr Frank Capra. Ce rôle de journaliste incrédule empreint d’un certain cynisme va lui permettre d’aborder une reconversion tout-à-fait réussie qui va le voir travailler sous la direction d’Alfred Hitchcock (quatre films en commun), puis sous celle d’Anthony Mann pour une série de cinq westerns fameux pour concrétiser une quarantaine flamboyante. A ses côtés Richard Conte, acteur sous-estimé qui déploie ici toute l’étendue de son talent pour exprimer avec force toute l’humanité de cet homme (Frank Wiecek) constamment digne dans l’adversité. Lee J. Cobb, grand second rôle jamais pris en défaut d’en faire trop, est un chef de rédaction magnanime cornaquant avec subtilité son journaliste un peu sceptique et même quelquefois carrément rétif. On remarquera aussi Betty Garde, touchante en épouse du condamné mais surtout l’actrice Katia Orzazewski dans le rôle de la mère de Wiecek, qu’Hathaway utilise à dessein dans deux scènes bouleversantes situées au début et à la fin du film. Deux scènes filmées au plus juste montrant la capacité d’Hathaway à tirer le meilleur de ses acteurs même les plus modestes. Tous ces éléments ajoutés à la magnifique photographie de Joseph MacDonald font de « Appelez Nord 777 » un des joyaux parmi les nombreux excellents films noirs tournés dans les années 1940 et qui nous réserve en cadeau un dénouement plutôt jouissif.