Les plus utilesLes plus récentesMembres avec le plus de critiquesMembres avec le plus d'abonnés
Filtrer par :
Toutes les notes
benoitparis
114 abonnés
1 277 critiques
Suivre son activité
4,5
Publiée le 17 juillet 2010
Le manifeste d’ouverture, le premier quart du film, est un chef d’œuvre en soi. Un « work in progress » théorique et appliqué parfaitement cohérent, et d’une actualité saisissante, aussi bien du point de vue du cinéma expérimental que de l’art moderne en général (on pense au collage, au sampling… à tous les procédés inventés ces dernières décennies). Dans la suite émerge surtout la séquence de poésie lettriste, et des jeux d’images gravées directement sur pellicules qui l’accompagne (qui ont dû inspirer J.-P. Bouyxou dans son « Graphyty »). On tombe autrement dans les faiblesses d’un art conceptuel, où la théorie esthétique prend le pas sur l’accomplissement de l’œuvre, et aussi dans pas mal d’auto-exaltation. Mais même avec ces derniers aspects, le film est indispensable à une cinéphilie sérieuse.
Traité de bave et d'éternité d'Isidore Isou est avant tout un manifeste lettriste pour une nouvelle forme de cinéma, pour la destruction du cinéma afin de proposer de nouvelles œuvres, une nouvelle façon de faire du cinéma, tout comme, d'après lui, Picasso avait proposer une nouvelle façon de faire de la peinture... Pour cette destruction, pour cette déconstruction il propose de dissocier l'image du son... d'utiliser des images n'ayant aucun rapport, des chutes d'autres films, de faire du cinéma de la radio, de construire à partir des restes.
Il faut dire que la partie manifeste du film est vraiment intéressante, ça fourmille d'idées qui seront mises en pratiques par la suite avec une partie qui relève plus de la fiction, avec une histoire d'amour entre une norvégienne un jeune homme qui veut révolutionner le cinéma grâce au lettrisme. Je dois dire que ça fonctionne plutôt bien, c'est peut long 2h04, mais franchement les réflexions fusent dans tous les sens et le film arrive malgré tout à traiter son histoire d'amour et à proposer ainsi un modèle de ce qui pourrait être une romance lettriste.
Mais le meilleur reste la mise en image de la poésie lettriste où pour les lettristes les mots sont devenus inutiles et où ils s'intéressent uniquement aux lettres, aux sons... Ainsi cette poésie devient une sorte de musique faites de son, de lettres, avec une mise en image sommaire, abstraite, mais où le tout colle étrangement bien et arrive à emporter totalement le spectateur vers une expérience nouvelle et inédite.
Je ne crois pas que le traité de bave et d'éternité ait connu beaucoup de suites, mais on peut néanmoins noter Blue de Derek Jarman où il s'agit de l'histoire du réalisateur qui meurt du Sida, où il n'y aucune image, juste un fond bleu. Comme chez Isou l'image ne correspond pas au son et ça fonctionne là également vraiment bien.
Isou arrive donc à proposer à partir d'un postulat qui peut sembler totalement absurde une réelle proposition de déconstruction du cinéma, qui aussi absurde qu'elle puisse paraître peut faire sens et peut réussir à donner quelque chose d'intéressant... le cinéma n'est pas prisonnier il peut réussir à se libérer des codes pour justement proposer quelque chose de totalement neuf.
Un film trop long, mais ô combien fascinant et qu'il faudrait revoir plusieurs fois pour saisir toutes les propositions cinématographiques énoncées.