Peter Bogdanovich est un réalisateur qui à l'image d'un Martin Scorsese ou d'un Bertrand Tavernier a toujours été très impliqué dans la vulgarisation, la conservation et la transmission du patrimoine historique de son art. Ses débuts comme critique l'ont amené à fréquenter de près les grands anciens en retraite ou préretraite comme John Ford, Howard Hawks, Allan Dwan, Orson Welles et bien d'autres avant qu'ils ne tirent leur révérence (deux livres d'entretiens passionnants ont été édités en 2017 et 2018). Pas étonnant dès lors qu'il ait souhaité au sommet de sa période créatrice rendre un hommage vibrant à la Mecque du cinéma, poussée comme un champignon en plein milieu du désert californien à l'orée des années 1910. Mais il vient juste de connaitre ses deux premiers échecs avec "Daisy Miller" (1974) et "Enfin l'amour" (1975) et de ce fait a un peu décroché du "Nouvel Hollywood" dont il était l'un des fers de lance aux côtés des Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Steven Spielberg ou Brian de Palma malgré son style différent, plus axé sur l'expression d'une nostalgie teintée de poésie. Son nouveau projet sera donc plus modeste (8 millions de dollars) qu'il aurait pu l'espérer au moment où "La dernière séance" (1971) l'avait propulsé sur le devant de la scène. "Nickelodeon" dont il a écrit lui-même le scénario (avec W.D Richter) porte le nom des petites salles dans lesquelles les spectateurs pénétraient en franchissant un tourniquet (odeon) à l'aide d'une pièce de 5 cents (nickel). C'est grâce à l'exploitation à grande échelle de ces fameux "nickelodeon" que des émigrés comme Carl Laemme, William Fox ou Marcus Loew devinrent à partir des années 1920 les patrons des grands studios dès lors renommés "moguls". Bogdanovich considère que c'est à partir de la sortie de "Naissance d'une nation" de DW Griffith, le 8 février 1915 que le cinéma proposant des films plus longs dans des salles plus grandes et confortables devint un art. Son film couvre donc la période allant de 1910 à 1915, celle de l'innocence qui fait encore la part belle à l'insouciance et à l'amateurisme, thème récurrent de son œuvre. Rien de plus efficace dans cette optique que d'imprimer à "Nickelodeon" la même tonalité que celle complètement loufoque et débridée qui habitait les splasticks de Mack Sennett qui faisaient fureur à l'époque. Aidé de Laszlo Kovacs son chef opérateur habituel, Bogdanovich envisage la projection en noir et blanc ce qui lui sera refusé par les studios qui jugent le procédé trop hasardeux commercialement. Le film sera malgré tout un échec financier dont la carrière de l'ex-jeune prodige de "The Last Picture Show" ne se remettra jamais réellement. La version restaurée par Peter Bogdanovich lui-même qui est sortie en B-Ray rend toutefois justice à la démarche certes parfois maladroite mais aussi souvent poétique et toujours sincère qui anime le film. Ryan'O Neal et Burt Reynolds sont à la hauteur de l'exercice difficile demandé par Bogdanovich qui consiste à débiter des dialogues tout en effectuant les pitreries qu'effectuaient à l'époque les Chaplin, Lloyd, Turpin, Arbuckle ou Keaton. Si l'on se laisse prendre au jeu, ce qui n'est pas évident il faut bien l'admettre tant le film peut dérouter par sa structure narrative, on peut admirer le regard aiguisé du réalisateur qui montre très bien comment tout ce petit monde a construit tout en marchant les différents métiers qui ont fait du cinéma une industrie en même tant qu'un art. On peut regretter qu'Orson Welles qui devait jouer le rôle du producteur (remplacé par Brian Keith) n'ait pu être présent, le film aurait alors sans doute pris une autre dimension grâce à la figure rabelaisienne du génial acteur. Les cinéphiles à qui le film est aujourd'hui essentiellement destiné remarqueront les hommages rendus à certains chefs d'œuvre du muet postérieurs à l'époque retracée par le film comme la scène ou Ryan'O Neal se laisse porter par les roues d'une locomotive à vapeur tel le Buster Keaton songeur du "Mécano de la General" (1926). Les moins férus de septième art pourront se consoler en admirant la beauté gracile de Jane Hitchcock, ancien mannequin remplaçant pour l'occasion Cybill Sheperd.