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norman06
345 abonnés
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5,0
Publiée le 3 août 2023
Un film prodigieux et audacieux sur le plan de l'écriture et au niveau visuel, quelque part entre Fellini et Bergman, avec en outre des scènes de nudité et de sexe incroyables pour l'époque, sans être graveleuses pour autant. Il fait (re) découvrir l'oeuvre de Mai Zetterling qui est l'une des plus grandes femmes cinéastes.
La ressortie en salle de quatre films de fiction réalisés par Mai Zetterling, actrice suédoise passée derrière la caméra en 62, permet d'évaluer l'importance de son travail de cinéaste. Notons qu'elle signa aussi des documentaires.
En tant que comédienne, elle tourna même en dehors des frontières de son pays et fait par exemple partie de la distribution d'un opus de Marc Allégret.
Des quatre titres proposés " jeux d'été" ( le deuxième des quatre par ordre chronologique) est sans doute le plus connu dans l'hexagone, pour le scandale qu'il suscita lors de sa sortie (1966) au royaume de Suède.
On imagine que ce sont les quelques scènes déshabillées, jugées provocantes qui firent grincer des dents. La scène de l'accouchement et certaines répliques mises dans la bouche d'Ingrid Thulin achevèrent sans doute d'irriter les plus conformistes.
A travers la visite que fait un jeune homme dans la maison de son enfance, accompagné de sa fiancée et ( peut-être) future épouse, les souvenirs de ses parents ( surtout de sa mère distante et mal aimante et de sa grande tante paternelle qu'il adorait) lui reviennent en mémoire.
Mais pour construire sa vie personnelle de façon équilibrée, ne faut il pas tourner la page et cicatriser les plaies encore ouvertes ?
La période des années 60, donna en Suède au plan cinématographique, naissance ( comme dans d'autres pays) à une nouvelle vague.
Le héros en Suède de cette période était alors Bo Widerberg ( aujourd'hui le double palmé au festival de Cannes, Ruben Ostlung se réclame de cette filiation) qui égratignait la figure tutélaire qu'était Ingmar Bergman ( auquel il reprochait de ne pas s'intéresser dans son cinéma à la vie des plus démunis et aux questions sociales).
Zetterling semble s'inscrire au milieu des deux artistes et propose finalement ici, une sorte de condensé des deux univers ( celui de Bergman et celui de Witerberg).
Le casting d'abord : la cinéaste offre à Ingrid Thulin ( vue fréquemment chez Bergman et sans doute une des actrices suédoises dont la beauté et la photogénie est la plus exceptionnelle) le rôle majeur.
Mais aussi Zetterling donne le rôle de la fiancée à la très jolie actrice qui incarne le rôle principal dans le premier film de Widerberg. " le pécher suédois" (62), parfois considéré de façon symbolique comme le "A bout de souffle " local.
Au plan formel, " jeux de nuit" reprend aussi le type de cadrage, de photo et parfois de mise en scène qui ont fait la marque et la magie de Bergman.
Mais Zetterling convoque aussi l' univers baroque qu'on retrouvera plus tard chez le polonais Has ( certaines scènes font penser à " la clepsydre " ) mais aussi le symbolisme osé qu'on observe chez l'italien Marco Ferreri et des clins d'œil adressés à Godard et son " Pierrot le fou" ( 1965) notamment pour la scène finale, tournant son regard vers Witerberg.
Enfin, la partition musicale qui illustre les tourments intérieurs des personnages sera choisie parmi des partitions qui relèvent du free jazz et non pas parmi celles du répertoire classique qui avait la faveur de Bergman.
À l'écran ce mélange des genres à certes de quoi déstabiliser le spectateur.
Pourtant, si " jeux de nuit" n'atteint pas ( à mes yeux du moins) la perfection des opus de Bergman de l'époque, ni ne propose un cinéma totalement d'avant-garde, le mélange des deux styles au sein d'une même oeuvre, assorti de la force des thèmes abordés ( famille peu aimante à l'égard de leur progéniture, parents bourgeois et déséquilibrés, difficultés et nécessités de s'extraire des traumatismes vécus dans l'enfance) justifie, pour l'amateur de cinéma d'auteur, d'y jeter un regard.
Va pour un deuxième. Toujours aussi efficace, Mai Zetterling, en deux plans dévoile tous les enjeux et le thème du film, avec deux objets. Une alliance et un bandeau. Les objets vont avoir une forte valeur tout le long et sont représentatifs des thèmes et de la dénonciation habituelle de l'autrice en ce qui concerne la position des femmes.
La temporalité est équivalente à son précédent film avec de nombreux flashbacks et une narration décousue, bien qu'elle soit plus concrète ici. Les adultes sont mis en scène comme les acteurs de la perpétuation des inégalités de genre. L'enfance s'oppose toujours aux adultes même dans le passé ou Jan a lui-même douze ans.
L'accouchement est encore une fois au centre de tous les sujets et de la vie des femmes. C'est d'ailleurs au début, quand la mère à Jan est concernée, qu'elle semble s'exprimer sans retenue même envers son mari. Comme si cette étape, propre à la femme, la ramenait à un état de conscience originelle, indépendante de la hiérarchisation artificielle de relation entre les sexes, qui est à la base du fait de sa soumission.
Le travail sur les gros plans sur les visages est une nouvelle fois de mise. On voit d'ailleurs que Persona est passé par là lors de certaines prises (les deux hommes au pied du lit) et de la présence du même enfant dans ce film.
Les deux époques sont entre elles une image et son reflet, Jan le miroir entre les deux. Tout à l'air de s'y opposer; le monde puis la solitude. Le soleil puis la neige. Mais la maison représente sans cesse une passerelle et un obstacle au personnage principal. "Do you find that funny ? Or are you going to cry ?"
Cependant Jan n'aborde pas le passé d'une façon aussi bucolique que ce que l'on aurait pu croire. D'après lui il peut être dur et surtout nuisible. D'autant plus qu'il place de nombreux espoirs dans le futur. Ce lien se voit une nouvelle fois dans les objets. Le lit où Lotten accoucha est réutilisé dans le cadre intimiste du couple que forme Jan et Irene. Elle y voit quelque chose de merveilleux mais lui est une nouvelle fois moins enclin à cet enthousiasme. Peut-être que l'on peut y voir une facette perverse dans la nostalgie et dans le rôle que le passé doit occuper dans nos vies et nos décisions.
Je tennais aussi à parler en détail d'une scène. Celle où Jan, adulte, se retrouve dans une pièce plutôt secrète avec ses oncles Bruno et Mariana. Ce souvenir se caractérise par un point de vue de la caméra particulièrement omniscient. Où l'on va voguer autour des personnages et de la pièce. Le jugement que l'on se fait de la conversation tenue par les adultes et comme faite avec du recul. En comprenant à la fois Jan et eux. La réalisatrice adopte une mise en scène qui s'immisce particulièrement à l'interieur de cette interaction. Jan enfant se glisse littéralement dans les jupons de Mariana, sa tante. Du translucide à l'invisible, au même rythme que la conversation devient dérangeante du fait de la tenir face à un pré-adoledcent. Je trouve qu'elle illustre parfaitement tout ce qui fait la qualité du film et de la réalisation flamboyante de Mai Zetterling.
La grand-mère Astrid est aussi importante et centrale avec un enseignement et une proximité qui n'a pas d'égal pour Jan. Elle est omniprésente dans les flashbacks et ce n'est pas pour rien. Principalement qu'elle est la seule à éprouver explicitement le sentiment de nostalgie que Jan a en revenant au château. La bonne toujours après de la famille est à l'opposé de cette tendresse et subit la violence de la frustration de l'homme. Libérant la brutalité que tout l'environnement le fait se ressasser.
On y retrouve aussi par rapport au précédent film Les Amoureux, des personnages masculins en proie à un flou autour de leur appartenance à un identité et une orientation sexuelle loin des conventions sociales. Je parlais tout à l'heure de la frustration de Jan adulte. Une scène en particulier peut l'expliquer. Son lui de douze ans se retrouve un jour à se travestir; il utilise parfum, maquillage et perruque. Ce qui le fait par la même occasion étrangement ressembler à sa mère. Cela pourrait soit être clairement son identité qu'il remet en question ou sinon un moyen de percevoir de l'attention, sinon se référer à Mariana (ce qui est d'ailleurs l'hypothèse principale). Most people only wake up on their deathbed. It's a bit late.
L'inceste aussi est toujours là. Jan est une sorte d'Œudipe au destin flou. Malgré que ça ne va durer que le temps qui précède le décès de sa mère.
La fin est à mi-chemin entre celle de La Dolce Vita et de Citizen Kane. Jan met fin à son destin et ses remords, du passé il fait table rase comme pour suggérer une influence marxiste chez la réalisatrice qui donne une morale de libération nécessaire et radicale du passé. Au cas où l'on souhaiterait un changement certain au niveau de mœurs. C'est donc en revenant sur le lien entre le passé, le présent et le futur et l'influence et le rôle qu'ils jouent entre eux que ce passage de destruction fait sens et est provoqué.
Il faut dire qu'avant de commencer à voir les films de Mai Zetterling, je m'attendais à des films bien plus explicites dans la violence ou la sexualité. Malgré qu'explicite ne ce soit pas le mot mais c'est-à-dire que c'est dans des situations quotidiennes, d'ailleurs tristement quotidiennes, qu'elle excelle et décrit d'autant mieux l'étendue de son message féministe. Il s'agirait de mettre la lumière sur cette femme de génie s'il vous plaît.