Sans aucune doute, Cruising n'est pas le meilleur film de William Friedkin. Malgré tout, quel intérêt peut-il encore avoir aujourd'hui, après plus de trente ans d'existence ? On passera outre sa provocation qui, de nos jours, paraît quelque peu désuète. La comparaison est toutefois intéressante pour les cinéphiles en ce qui concerne la filmographie de Gaspard Noé qui, à coup sûr, s'est fortement inspirée de Cruising pour l'ambiance sordide de son film Irréversible, de bien meilleure qualité. Il faut bien dire que le scénario n'a rien de bien passionnant, du moins au début ; celui-ci mettant aussi du temps à démarrer. Mais la petite réussite du long-métrage est avant tout son ambiance qui tire explicitement dans la littérature américaine hard boiled. Ainsi, la lecture de La Chasse, titre français pour le moins discutable, s'en trouve changée. Le premier degré se cantonnerait à décrier un scénario vulgaire, à la trame longue et ennuyeuse et dont le twist end, racoleur, incarne la dernière tentative du réalisateur à donner un sens à toute cette boucherie. Pourtant, son ambiance noire, presque surréaliste, psychanalytique - au sens où elle résulte du fantasme du personnage principal, incarné par Al Pacino - offre une lecture plus intéressante. C'est cela que le hard boiled : un monde sombre, violent, entre l'anarchisme et l'arbitraire, où toute notion de culture, de loi, est relayée aux sens, à la nature de l'Homme qui, naturellement, ne peut être que mauvaise. L'Exorciste, en 1973, insistait déjà sur cette notion entre le bien et le mal, questionnant la notion de manichéisme. Finalement, la révélation finale de Cruising déconstruit et reconstruit en même temps tout le film, bouleverse notre regard, notre perception, et remet en cause complètement l'oeil porté objectivement sur cette affaire. Même si Friedkin n'atteint pas un degré de réflexion aussi élevé que Bug, qui pousse encore plus loin la thématique de l'horreur, oscultée dans l'essence même de l'être humain, Cruising reste néanmoins une oeuvre originale dans son style, tiraillée entre désespoir et caricature, et une vision toujours aussi pessimiste de l'humanité.