Une des thématiques communes des films de Carpenter est l'aliénation de l'individu, son oppression par une puissance supérieure, qu'elle soit fascisante (Los Angeles 2013, Invasion Los Angeles), d'origine extra-terrestre (Invasion Los Angeles, The Thing) ou surnaturelle (Prince des ténèbres).
Suite à l'anéantissement de son identité, l'individu se voit contraint d'obéir et devient le jouet des puissants. Face à cette oppression, les anti-héros carpenterien se révoltent jusqu'à triompher contre l'oppresseur, souvent au prix de leur propre sacrifice.
Snake Plissken est un cas à part dans la filmographie de Big John car il incarne la figure incorruptible majeure de son cinéma, et aussi le meilleur porte-parole de ses idées (ce qui est ironique vu que le personnage se borne à parler le moins possible). De plus, de tous ses héros, Plissken est l'un des rares à arriver à vaincre l'oppresseur sans avoir à sacrifier son humanité et sa vie.
Snake Plissken, c'est le dernier cowboy, comme l'Harmonica dans Il était une fois dans l'ouest, solitaire, taciturne, déterminé mais archaïque, dépassé. Il promène sa silhouette dans une époque qui n'est pas la sienne.
Plissken est la relique d'une ère de libertés à jamais révolue, au point qu'il en devient légendaire (Carpenter en joue d'ailleurs beaucoup à travers les dialogues de ses personnages), vivant uniquement dans l'instant présent et n'aspirant qu'à la liberté. Pas foncièrement mauvais, il se limite à sa seule vision des choses, à sa seule opinion qui, dans une société future de plus en plus liberticide et déshumanisée, reste encore la vision la plus humaine qui soit.
Un personnage aussi charismatique se devait de revenir dans une suite tardive au film culte de 1981 New York 1997. De suite ici, il n'en est pourtant pas vraiment question, Carpenter et Russell (acteur et scénariste) s'étant accordés sur le besoin de réactualiser le personnage et l'intrigue initiale à l'aune du cinéma consensuel des années 90.
Nanti d'un budget plus conséquent que l'opus original, Carpenter sait très bien que cette suite va s'adresser à un plus large public, d'où la nécessité de réintroduire son anti-héros dans un contexte quasi-similaire.
En faisant le choix du remake à peine déguisé, Carpenter brûle les étapes en vue de dresser quasiment le même constat critique que celui d'Escape from New York. Le rêve américain menace toujours de s'écrouler et le réalisateur prophétise les années 2000 en la figure détestable du président du film (incarné par Cliff Robertson), un intégriste chrétien couard et illuminé, parfait sosie moral et politique d'un W. Bush.
A travers Los Angeles 2013, Carpenter poursuit donc la satire entamée par le premier film tout en la modernisant, brocardant les dangers du politiquement correct et les travers d'une société américaine repliée sur elle-même, fondamentaliste, élitiste et xénophobe, déportant tous les indésirables sur une île de non-droit, l'ancienne Cité des Anges, coupée du continent à la suite d'un séisme sans précédent.
Sur la base d'un MacGuffin similaire au premier film, une mallette contenant une mystérieuse boite noire convoitée par tous les partis, Carpenter esquisse rapidement le danger d'une guerre imminente pour mieux se consacrer au traitement réservé aux derniers rebuts d'une société dystopique. Et au monde dans lequel ils vivent désormais, la fameuse Cité des Anges, libérée de toute loi punitive et de politique hypocrite mais aussi territoire de tous les dangers, divisé en fiefs régis par nombre de gangs plus ou moins redoutables.
Paradoxalement, le chef incontesté de cette nouvelle terre de libertés, règne sans partage tel un tyran grotesque aux allures de Che Guevara et réinstaure les jeux du cirque dans un stade de football. Plissken lui-même sera contraint de surmonter une épreuve tout aussi absurde qu'impossible à surmonter comme le gladiateur et "fantassin" usé qu'il est devenu. Et alors que contre toute attente, il réussit l'impensable, le public dans les tribunes se met à scander son nom comme celui d'une authentique légende.
Et comme on le sait, le propre d'une légende est qu'elle ne meurt jamais.
Los Angeles 2013 est globalement un bon film, porté par le charisme de son interprète principal (le génial Kurt Russell) lequel traverse une succession de décors désolés et rencontre une multitude de personnages hauts en couleur, reliques d'une société décadente et révolue.
Certes, le scénario de ce second film n'innove en rien et reprend les grandes lignes de l'original. Carpenter recycle ici l'essentiel des éléments narratifs du premier film et n'apporte rien de neuf. Les personnages occupent quasiment les mêmes rôles que leurs prédécesseurs new-yorkais, Eddy est Brain, Cuervo est le duc de New York, Malloy est Bob Hawk. Les étapes narratives et les péripéties sont globalement les mêmes, (l'intro explicative en voix-off monocorde, le chantage fait à Plissken par ses geôliers, le débarquement sur l'île, l'épreuve du stade, la parade du bad guy, le bras d'honneur final) mais remaniés de manière à faire illusion non sans y apporter plus d'ampleur et de dynamisme.
Les enjeux restent toutefois plus importants ici et le discours de Carpenter est différent à l'aune de cette fin de millénaire. Car si le premier film prenait bien les atours d'une dystopie sans jamais révéler le moindre élément critique de la société américaine "extérieure", dans Escape from L.A. il ne fait plus aucun doute que le pays de l'autre côté du mur est bel et bien devenu une dictature en proie à la folie biblique et à la censure morale. Au point que la terre de déportation de Los Angeles semble bel et bien devenue la dernière véritable terre de libertés, mais à quel prix...
La trame de cette séquelle gagne donc dans sa vision critique, l'ampleur de ses enjeux et le traitement de ses personnages, ce qu'elle perd en originalité narrative. Et puis si l'essentiel du métrage se contente de ressasser le scénario du premier film, le rythme de cette suite y est plus haletant, le périple de Plissken s'acheminant dans l'urgence vers un climax des plus surprenants où Snake dans un ultime face-à-face avec son président et le système que ce dernier a engendré (via les caméras de télévision rediffusant la confrontation) se contente de condamner le monde à une ère de ténèbres en moins de temps qu'il n'en faut pour appuyer sur un bouton. Plissken apparaît alors comme l'ultime et improbable redresseur de tords, remettant les compteurs à zéro et condamnant le monde entier sur sa seule humeur vengeresse et sentencieuse.
Carpenter s'offre alors en bout de course une conclusion plus subtile qu'elle n'y parait, permettant à son personnage de briser le quatrième mur via une dernière phrase ironique résonnant comme une ultime sentence à l'encontre d'une société qui a trop exclure la différence et à prêcher la censure, en a perdu toute son humanité.
Mais qu'on ne s'y trompe pas pour autant, Escape from L.A. apparaît en fin de compte plus comme un agréable divertissement qu'un authentique brûlot contestataire. Idéal pour ceux qui n'auraient encore jamais vu le premier opus, bien que je recommande de découvrir Snake Plissken à travers son odyssée new-yorkaise initiale.