Le synopsis de Sombre, premier long-métrage expérimental de Philippe Grandrieux, est autant une parfaite grille de lecture qu'une très belle extraction de l'incroyable matière dont peut receler le film. Il sera délicat d'en parler de façon plus adéquate, de lui trouver une poésie plus à même de s'unir au néant presque indicible qui lui sert de matrice. C'est en tout cas, à mon avis, de lyrisme dont il faut user pour tenter de rendre l'essence de Sombre, qui comme l'indique ce fameux synopsis, est un conte, celui d'un monde vidé de sa substance. Lui est un tueur compulsif perdu dans dans les ténèbres, et ombre qui les a embrassés. Elle est vierge, pur mais faible halo pourtant lui aussi enveloppé par une obscurité inextricable, que les contre-jours font émaner du Soleil lui-même, faisant échapper hors du Monde ces deux personnages damnés, au sens le plus amoral du terme. Pourtant, maintenue un pied dans la lumière par ses proches et ce qui la rattache à cette vie, elle tentera de l'y ramener, malgré ses crimes, mue par un amour qui manquera de les écarteler. Incroyable de vérité, très percutant sur le plan sensoriel, Sombre est aussi beau que radical. C'est un film différent des autres, qui ne cherche pas à modifier le regard mais plutôt à faire croire au sien, incontestablement marginal. On le sent très bien, dans son rapport à la multitude humaine, signifiée à l'aide du Tour de France cycliste et de ses acteurs que la caméra filme sans les voir. Dès les premiers plans également, ceux d'enfants surexcités criant devant le visionnage d'un film les sentiments toujours très épineux qui leur viennent, on perçoit l'agressivité des diktats émotionnels imposés par la masse et la possible blessure que cela peut susciter chez celui qui ne sait pas comment y souscrire. C'est un film qui sans rien excuser, rappelle qu'au-delà d'une vision, d'une pensée préfabriquée, il existe autre chose, et invite à le voir, incitant à une grande humilité. C'est sans doute comme ça, en se détachant du Monde au côté de ses personnages, qu'il accède à cette forme d'absolu que peu avant Grandrieux ont trouvé. En tout cas, Sombre est une expérience de cinéma assez forte, qui préfigure sans doute une carrière hors norme. Désarçonnant, mais jamais vain, ni seulement purement sensoriel.