Totalement déconcertant en tant que tel, ce "Prix Spécial du Jury" cannois en 1973 a cependant des qualités esthétiques flagrantes (ambiance ethno-fantastique, décors surtout, absolument époustouflants, entre « gothique », expressionnisme et baroque). Onirisme et surréalisme donnent la tonalité générale de quelque chose à l'évidence d'estimable, mais qui résiste en permanence à l'entendement : méditation sur le temps, qui s'écoule et se contracte, entre failles et repentirs des souvenirs, probablement, mais quoi d'autre ? J’avoue être restée largement en dehors d’un propos m’échappant, ce qui justifie alors une notation intermédiaire, la magie des images ne pouvant justifier à elle seule une adhésion supérieure ! Le cinéaste juif polonais Wojciech Has (1925-2000) adapte ici un recueil de nouvelles de son compatriote également juif, Bruno Schulz, abattu en pleine rue en 1942 par un gestapiste, dans le cadre d’une vengeance personnelle - le côté décousu du récit vient alors peut-être du passage à l'écran de plusieurs histoires, et non d'une seule (sauf à remarquer que le fil rouge minimum est la relation père/fils, le père de fiction s'appelant "Jacob" et étant marchand de tissus comme le père de Schulz, et ayant la même place centrale que dans la vie réelle), fortement marquées à la fois par la nostalgie de l'enfance et la récurrence de fascinations nettement plus adultes, pour les dominatrices dénudées. Has a su à cet égard (ce qu’on ne peut que porter à son crédit !) reprendre avec pertinence et développer « cinématographiquement » ces obsessions qui faisaient aussi l’essentiel de l’autre partie du travail de Schulz, éminent graphiste : omniprésence de sa ville natale en Galicie (aujourd’hui ukrainienne) avec nombre de scènes de rue, importance du judaïsme (bien qu’étant « assimilé » et ne vivant pas dans le ghetto avant l’invasion nazie), culte pour la femme, quasi-idolâtre, voire teinté significativement de sado-masochisme.