Comme toujours dans le cinéma des frères Coen, il y a, enfoui sous des strates d’humour parodique et de second degré, un cœur humain qui bat à l’unisson d’un rêve impossible à concrétiser mais dont témoignent les efforts mis en œuvre pour le réaliser. Ici, c’est un désir d’enfant qui pousse un jeune couple à emprunter la route du kidnapping : voler à ceux qui en ont trop pour rétablir une forme d’harmonie, de justice sociale. Seulement, cet acte illicite et amoral va déclencher toute une série de péripéties qui peuvent être lues comme les épreuves d’un châtiment plus vaste, et dont le motard tatoué serait l’incarnation la plus frappante. Nul hasard, par conséquent, si le film introduit ce personnage fantaisiste tout droit sorti du Mad Max premier du nom, réalisé par George Miller : qu’est-ce que Mad Max, sinon l’agonie d’une famille à qui l’on enlève son enfant sur la route, écrasé par des motards fous ? Les cinéastes convoquent la référence australienne pour mieux en renverser la focalisation : les bourreaux ne sont plus des motards, mais Hi et Ed qui, en enlevant un nouveau-né à une famille nombreuse, se comportent aussi mal que les « aigles de la route ». Ledit contre-modèle vient hanter l’esprit de Hi, peupler son imaginaire de cauchemars qui se répercutent sur le bébé (on nous dit qu’il a « fait un mauvais rêve », lui aussi). Arizona Junior, aussi déjanté puisse-t-il être, reste une œuvre tourmentée sur la lucidité d’un jeune couple stérile et aux conditions de vie médiocres à élever comme il le souhaiterait un enfant qui représente le fruit de leur péché, un butin ravi, de la même manière que le papa pique des couches-culottes et des collants dans les grandes surfaces. Comment offrir des études quand on n’a rien ? Comment aimer quand on vit constamment dans la peur ? Le motard incarne le ravissement, les deux amis taulards le passé criminel qui ressort de terre tels des zombies pour y retourner, à terme. Aucune chance de salut, sinon par l’amende honorable, la restitution du nouveau-né. Le rêve de Hi constitue certainement la séquence la plus bouleversante du long métrage : la fiction semble être le seul espace dans lequel la famille peut prendre racines et s’épanouir, rappelant au passage l’univers du conte tel qu’il sera développé par Tim Burton dans Edward aux mains d’argents, quatre ans plus tard. Servi par des acteurs épatants, Arizona Junior est une œuvre magistrale, drôle et mise en scène avec talent, un acte de foi en l’humain et ses rêves que seul le cinéma peut concrétiser.