Comment noter ce film ? Zéro étoile ou cinq ? J’ai pris le parti du coup de génie et de lui donner le maximum. Oui, un coup de génie. Ce film, cela faisait longtemps que je voulais le voir. On n’en connaît sur les sites de vidéos en ligne que quelques extraits, comme celui devenu culte, de la séquence de la rue Flaubert. De quoi exciter la curiosité. Marielle, Rochefort, et puis un peu plus loin Piéplu, en costume et rosette au revers. Et puis à l’affiche, rien que des grandes gueules et des monstres du cinéma français de papa. Marielle, Rochefort, Blier (père), Piéplu, Bertin (de la Comédie Française mais à la si longue filmographie), Fossey… Entourés de jeunes qui vont se faire un nom, Jugnot, Lavanant, Mairesse, Garcia ; et de seconds rôles que l’on croise alors partout sur la toile hexagonale comme Dora Doll ou Michel Fortin. On secoue tout ça bien fort dans le shaker de Bertrand Blier et on obtient « Calmos ». Un truc improbable qui commence comme une comédie française que l’on croirait parfois écrite par un Audiard et vire à mi chemin soudain vers la farce fantastique, un peu effrayante, à la limite de la science fiction sociale (on est en France, au pays de Foucault, Deleuze et Bourdieu, au faîte de leur célébrité alors) qui peut créer un certain malaise. Profond. La première chose qui me vient à l’esprit après avoir vu ce film donc, découvert après l’achat récent du DVD, c’est que Blier nous refait là en partie, le coup de sa dynamique des Valseuses, cette fois-ci non plus avec son célèbre duo de jeunes marginaux mais avec des quadras en rupture de ban. C’est presque un copier-coller de la dynamique du premier film vers ce deuxième, avec des duos aux ressemblances psychologiques parfois frappantes. Mais ici un duo de quadras qui a peut-être eu 20 ans dans les Aurès et non pas sur le boulevard Saint Germain, rattrapés de plein fouet par le tsunami qui a émergé des évènements de 68 partout sur la planète ; la première révolution globale qui a frappé toutes les sociétés pour les transformer en profondeur. Que l’on soit à Paris, Rome, Prague, Washington, Saigon ou Pékin. Donc des héros qui n'ont pas du tout, sur la lecture des évènements qu’ils subissent, la même lecture que de plus jeunes pourraient avoir. Ils vivent sur la pellicule le ras de marée qui a bouleversé les équilibres sociaux en France, dont et à commencer, celui du couple. Les femmes ne sont plus reléguées à la maison et aux seconds rôles, à tenir le foyer, devenir enceintes et élever les enfants. Elles votent. Elles travaillent et sont autonomes. Et surtout, dorénavant, elles ne se contentent plus d’être simplement aimantes, mais elles jouissent. Et elles revendiquent leur droit au jouir. La deuxième séquence après celle de présentation d’ailleurs, nous donne le ton du film. On a engagé rien moins que la star féminine du X d’alors, Claudine Beccarie (il paraît qu’elle a tout largué dans les années 80 et élève des oies en Bretagne…), pour nous offrir en gros plan et en cinémascope, sa vulve non plus comme dans un simulacre rigolard de porno mal ficelé d’alors mais comme une donnée essentielle du monde à venir. Cette chose là a des exigences. Parce que fragile. Celles du soin et du respect dorénavant qu’on doit lui apporter en toute circonstance. Mais Marielle, le gynécologue, en face, préfère gouter son pâté et son beaujolais avant de soudain tout larguer, fuir son cabinet, croiser et rencontrer Rochefort lui même en fuite pour les mêmes raisons. Ras le bol des bonnes femmes et de leurs exigences… Le buddy movie peut commencer. C’est ça ce film. Juste le monde ancien des hommes qui dominaient le monde avec le nouveau où il faut le partager avec les femmes. Mais le patriarcat aimable et débonnaire représenté par nos deux bonshommes ne doit pas se contenter de laisser de la place à parité égale aux femmes. Parce qu’il n’y aura pas de partage. C’est une guerre, totale et une guerre déjà perdue par les hommes de l’ancien monde. Il doit disparaître, au profit d’un autre ou règnera ce nouveau pouvoir. Celui des femmes, ici exacerbé jusqu’à une forme de dictature féroce, froide et clinique, presque nazie. Autrement dit, le féminisme n’est qu’un patriarcat brutal qui a juste changé de sexe. On comprend que ça a du en coincer quelques uns dans les rédactions des journaux progressistes d’alors…. Derrière le burlesque, voire le grotesque, mais qui ne flirte jamais avec la pochade ou le nanar comme j’ai pu le lire, un film comme un conte moral et philosophique sur le pouvoir, qui, quel qu’il soit, reste un pouvoir : il ne peut qu’opprimer. J’ai cru comprendre que Blier n’était pas très satisfait de ce film. Qu’il avait des regrets. Peut-être de n’avoir pas eu les acteurs qu’ils espéraient, Jean Yanne et Jean-Paul Belmondo. Je pense que cela n’aurait rien changé au fond de l’histoire, telle qu’elle est racontée là avec un certain luxe de moyens parfois dans certaines séquences. Mais je m’étonne que personne n’ait relevé les derniers plans. La morale finale de l’histoire. Sur les bords d’une mangrove. Magnifiques et d’une infinie poésie, qui ont fait monter en moi des souvenirs de poèmes de Saint John Perse et d’André Breton, Amers (Midi) et Air de l'Eau (et mouvement encore). Là où, au bord de l’effacement de toute chose, un homme et une femme se rencontrent, se découvrent et découvrent qu’ils doivent encore et toujours se découvrir. Parce qu’il reste une chose immuable et éternelle propre à notre espèce, au-delà de la comédie du pouvoir et du péché capital que nous commettons les uns envers les autres et qui nous condamnent à la damnation éternelle. Ce qui ne se prend pas mais se donne. Et c’est l’amour.