En 1975, encore auréolé du succès des ‘Valseuses’ et bien obligé de ne pas céder un pouce de terrain dans sa mission sacrée de choquer le bourgeois, Bertrand Blier est au pied du mur. Fort heureusement, l’année internationale des femmes va lui fournir l’occasion de surenchérir par une provocation de sale gosse, soi-disant pour dénoncer les effets délétères du féminisme : puisqu’on parlait volontiers de “guerre des sexes” dans ces années-là, il ne lui restait plus qu’à étirer le concept jusqu’à son point de rupture. Mal lui en prit : la Gauche considéra ‘Calmos comme réactionnaire, la Droite comme pornographique et le public, échaudé par les critiques et interloqué par le résultat complètement bordélique à l’écran, ne répondit guère présent. Avec le recul, Blier lui-même parle d’une “connerie” mais il fait davantage référence au fait d’avoir négligé de préparer les choses en amont et en aval qu’à un quelconque regret de fond…car si on y réfléchit deux minutes, il est impossible d’envisager ‘Calmos’ comme un réquisitoire sérieux, un geste militant, une conviction profonde. C’est un doigt médian adressé au bien-penser tel qu’il était porté par les jeunes générations des années 70, très certainement, mais y voir autre chose que le jeu détaché de toute obligation morale qu’est le cinéma reviendrait à considérer ‘La grande bouffe’ comme un manifeste grossophobique. ‘Calmos’ est une fable, surréaliste dès ses prémices, et qui plonge dans un délire grandissant à mesure qu’elle s’enfonce dans une synthèse sous acide de ‘Mad Max’ et du Monty Python Flying Circus. Foncièrement, ‘Calmos’ ne s’en prend même pas aux femmes - d’autant plus que les hommes du film sont in fine encore moins reluisants : cons, lâches et conformistes - et qu’il n’est pas dans les habitudes de Blier d’épargner qui que ce soit, mais aux aspects virtuellement fascisants du féminisme, que Blier considère simplement comme un -isme comme les autres, et qui lui permet de s’amuser à inverser le même paradigme de domination que le ferait quarante ans plus tard le sous-estimé “Jacky au royaume des filles”. Au départ, ce sont simplement deux hommes, les toujours formidables Marielle et Rochefort qui, épuisés et lassés du beau sexe, se réfugient à la campagne pour renouer avec ces plaisirs essentiels que sont la nourriture, la boisson et le tabagisme. Fainéantise, déresponsabilisation et hygiène incertaine étant les mamelles de la masculinité en marcel taché qui se dévoile ici, toute cette partie du film, clairement la meilleure, renoue avec la verve truculente et rabelaisienne d’un certain cinéma français vieux d’un demi-siècle, celui qui ne s’excusait jamais d’être ordurier et de cracher par terre. La suite, lorsque cet ermitage en duo commence à faire école et suscite un casus belli entre les sexes, pose la même question qu’à chaque fois qu’on tombe sur un film de cet acabit : où est passée cette école française du cinéma dont le sens de l’absurde et la folie contagieuse n’avaient rien à envier à leurs homologues britanniques et américaines ? Bref, sale et mal élevé, ‘Calmos’ n’est certainement pas indéfendable car je ne pourrai jamais reprocher à un iconoclaste d’iconoclaster avec ce qui iconoclaste le plus dans le contexte qui est le sien mais il est, dans l’état actuel des choses, plus que probablement indiffusable .