En VO « Le fantôme et les ténèbres », mots doux qui dans la bouche des africains, désignent ici les deux terribles mangeurs d’hommes du film. Deux lions incroyablement stratèges et colossaux, outrageusement affamés, tendant des plans machiavéliques, fabriquant des charniers, tuant pour un plaisir insensé, évitant les pièges, les balles, les barrières, le feu, les chasseurs, Blancs ou Masaïs, qui eux joueront d’une malchance et d’une maladresse inouïes. Quand malgré cela ils parviennent à becqueter avec une monstrueuse assurance plus d’une centaine d’ouvriers dans un chantier de construction d’un pont en Afrique de l’Est, on a en effet tendance à supposer soit comme un relent de surnaturel, soit une grosse fable fièrement rapportée par la Couronne d’Angleterre pour masquer une vérité sans doute plus honteuse encore.
Si les Dents de la mer était une excellente fiction, c’était clairement fantaisiste. Mais ici le film est basé sur l’histoire vraie du carnage humain subi par les ouvriers de ce chantier en 1898, et il n’a malheureusement pas plus d’ambition que d’adapter la version officielle au cinéma. Il se cantonne en une aventure, qui se laisse voir agréablement du reste, avec les jeunes et vigoureux Val Kilmer et Michael Douglas d’il y a 20 ans, avec de braves chasseurs, de petites relations d’amour et de loyauté, et un mauvais goût certain quant au respect de la nature.
Les tensions entre les manœuvres issus d’une foule d’ethnies de deux continents, les pénuries d’une année agricole catastrophique, la fatigue, la course à l’infrastructure coloniale entre Français, Allemands et Anglais, et les traitements colonialistes de l’époque sont à peine montrés. La sous-exploitation du sujet est totale. On reste dans la traque d’un colonel du génie militaire, ingénieur responsable, épaulé par un redoutable et réputé chasseur anglais, lui-même secondé d’une équipe indigène. Ils passeront 1H45 à « chasser le mal » dans ce qui m’inspire plus un ersatz de légende de la Bête du Gévaudan qu’un Dents de la mer version léonine.