Jean-François Davy est probablement un des réalisateurs les plus sous-cotés du cinéma français. Chaque fois que je vois un de ses films, c’est ce qui me vient à l’esprit. Il est vrai qu’il a évolué dans un registre un peu spécial, celui de l’érotisme la plupart du temps, et que pour avoir été à la mode dans les années 70, c’est passé depuis. Mais il faut le redécouvrir, et La Débauche est de ces films où le pire se résume surtout à leur titre racoleur un peu foireux de mauvais porno ! Car pour le reste, c’est quand même excellent.
D’abord, je veux souligner la qualité de la réalisation. Le film se veut une sorte de documentaire tranche de vie d’un couple sur quelques jours. La réalisation lorgne donc vers la Nouvelle vague, avec ce côté objectif, proche des acteurs, qui filme des dialogues se réclamant réalistes et des scènes tout aussi réalistes dans leur aspect « quotidien banal ». Le truc, c’est que Davy recourt à un montage très habile qui donne beaucoup de peps au film, lorgnant même, par moment, vers quelque chose d’assez clipesque avec des inserts tellement cut qu’on dirait des flashs photographiques. Il n’étend jamais plus que de raison ses scènes, même érotiques, et tout sonne avec un réalisme confondant. La scène qui ouvre le film pose d’ailleurs très bien ce ton quasi-documentaire, tant dans la réalisation, les situations, le jeu des comédiens, les dialogues. Il se plait également à créer des déambulations qui font d’autant plus plaisir qu’on sent l’ambiance des rues, les odeurs, Davy allant même jusqu’à privilégier les sons d’ambiance aux paroles de ses acteurs parfois limite audibles. Je ne suis d’ordinaire pas un grand adepte de ce type de réalisation, mais Davy est un maître dans le genre et la raison pour laquelle il rend digeste ce type de mise en scène tient toujours à cet humour qu’il introduit, à son sens de la cocasserie et au regard qu’il pose sur ses acteurs, criant de vérité. Je dois le dire, le casting est assez anonyme, hormis Michel Lemoine (que je connais plus comme réalisateur d’ailleurs), mais les interprètes sont tous au top, avec une mention spéciale pour Karine Jeantet. Elle est remarquable en jeune femme au foyer typique de cette époque qui s’ennuie dans un quotidien morose. L’écriture de son personnage est d’un réalisme confondant, et l’actrice, par ses jeux de regard, sa diction, sa gestuelle, simplement, est bluffante. Etrange qu’elle n’ait pas eu une meilleure carrière par la suite car elle avait de l’avenir dans le registre classique (hors érotisme j’entends). Les acteurs jouent vraiment leurs personnages, mais limite on pourrait croire que ce sont de vraies gens de la vraie vie ! Ils sont pour beaucoup dans l’attrait du film qui, par ailleurs, livre un scénario à priori très simple. Quelques jours de la vie d’un couple au bord de l’explosion. Sur ce postulat d’une simplicité confondante, Davy livre le portrait d’une époque et capte des émotions, des sentiments, des contradictions qui sont vraiment ce qu’est l’amour en général. A noter que si le ton du film se veut résolument optimiste et léger, dans son milieu le film sombre dans une tonalité plus grave et pourra sans aucun doute faire très mal aux sensibilités fragiles d’aujourd’hui. Au-delà de cela, c’est clairement toute l’ère sixties-seventies qu’il met en bouteille, avec ce côté libertaire qui, contrairement à l’image qu’on a pu en avoir, n’a pas vraiment favorisé le bonheur et le vrai amour. De là la dimension érotique du film. Alors oui, il y a de la fesses (il est d’ailleurs probable qu’il existe une version avec des inserts hard car c’était commun à l’époque), mais c’est soft. Enfin, aujourd’hui ce serait sûrement classé X, mais très sincèrement, c’est soft, et surtout, il y a toujours ce côté amusant et rieur de Davy qui en général fait que ça passe très bien (par contre le doublage en post-prod est parfois douteux !).
Toutefois, je garde le meilleur pour la fin avec l’exceptionnelle partition d’un Pierre Raph tellement sous-estimé dans les compositeurs français. J’avais déjà eu l’occasion de savourer ses mélodies mélancoliques dans La Rose de fer, où ça allait à merveille, mais ici, idem, la bande son qui vient souligner les moments forts du film apporte une émotion considérable aux images.
Pour ma part, La Débauche est limite un classique instantané alors que personne ne semble connaître ce film ou presque ! A mon avis le meilleur film de fiction de Davy (qui a par ailleurs réalisé des documentaires mémorables sur le monde du porno), qui prend le meilleur de l’art documentaire et le meilleur de l’art du film de fiction pour faire le film d’une époque, d’un couple, de l’amour sans fard, de la vie. Un 5 mérité.