Lou Bertignac (Nina Rodriguez) est une drôle de petite personne. Elle a 13 ans, mais largement deux classes d'avance (elle vient d'entrer en seconde dans un grand lycée parisien), elle est fille unique (mais a eu une petite soeur au prénom d'héroïne d'opéra, Thaïs, disparue de la mort subite du nourrisson) d'un père aimant mais souvent absent pour son travail (Bernard Campan) et d'une mère dépressive depuis le décès de sa cadette, 5 ans plus tôt (Zabou elle-même). Surdouée, réfléchie et solitaire, elle est la récitante de ces quelques mois de sa jeune vie que Zabou Breitman met en images pour sa quatrième (et très réussie) réalisation. Lou, qui aime passer du temps dans la gare d'Austerlitz pour y observer ses contemporains, rencontre "No"/Nora (Julie-Marie Parmentier), 19 ans - et déjà un an de vie errante - qui accepte contre quelques consommations alcooliques dans un café proche de se raconter - Lou prépare un exposé sur les "Invisibles", les SDF. Lou n'arrive pas à oublier No, qui n'est donc pas pour elle qu'un simple témoin, d'ailleurs plutôt rétif, d'un travail scolaire. La jeune fille ayant déserté la gare, Lou la cherche partout, et finit par la retrouver dans une file d'attente devant une soupe populaire. Débute alors l'amitié singulière de Lou et No, que rien pourtant ne rassemble. Le duo est en fait souvent complété par le deuxième ami de Lou, Lucas (Antonin Chalon), son camarade de lycée (un cancre qui a deux classes de retard), un solitaire finalement lui aussi malgré ses bonnes fortunes (il vit seul dans un grand appartement après le départ de son père pour le Brésil, et refuse de rejoindre sa mère et son nouveau compagnon, qu'il déteste). Lou arrive à décider ses parents à accueillir No dans la chambre inoccupée de Thaïs. Cette cohabitation curieusement permet à la mère de Lou de sortir définitivement de son mal-être, et No semble sur la voie de l'insertion sociale - elle a trouvé un travail de femme de chambre dans un petit hôtel. Pourtant ce mieux n'est qu'en surface pour la jeune fille : incapable de décrocher de l'alcool, par ailleurs arrondissant ses fins de mois en se prostituant avec des clients de l'hôtel, elle est chassée de l'appartement des Bertignac par le père de Lou. Celle-ci, incapable de renoncer à une amitié pourtant si inappropriée, fugue, et s'apprête à partir avec No pour l'Irlande. Mais cette dernière, dans un sursaut de lucidité, lui fausse définitivement compagnie. Vie douloureuse des sans-abris, perte d'un enfant, dépression - avec un tel arrière-plan, il y avait tout à craindre du récit de Lou : mièvrerie et autres larmoiements, en particulier. Or, "No et moi" n'est ni un mélo, ni même l'occasion pour la cinéaste de se faire donneuse de leçons. C'est une histoire d'amitié magnifique et improbable entre deux gamines trop mûres chacune dans leur genre - Lou, l'"intellectuellement précoce", et No, brisée par l'abandon (une scène la montre ainsi essayer en vain de renouer avec sa mère, devant une porte qui ne s'ouvrira pas), sans repères ni identité, détruite par les beuveries, marquée à jamais par la violence de la rue - filmée avec délicatesse, sans effets appuyés, sobre et belle, et dont l'interprétation est parfaite (quelques afféteries de Julie-Marie Parmentier mises à part) - Zabou Breitman en particulier fait une superbe composition (en mère revenant peu à peu à la vie) devant sa caméra tendrement inspirée.