A l'origine de "The Social Network", il y a un scénario qu'Aaron Sorkin, le créateur de la série "The West Wing" ("A la Maison Blanche"), avait tiré du roman de Ben Mezrich: "The Accidental Billionaires : The Foundig of Facebook, A Tale of Sex, Money, Genius and Betrayal." Quand David Fincher a reçu ce pavé de 166 pages dont la Columbia demandait qu'il débouche sur un film de 2 heures sous peine de lui enlever le final cut, il n'a posé que deux conditions : que les avocats donnent leur aval, vu la récence du sujet (Marc Zuckerberg n'a aujourd'hui que 26 ans), et que le film soit tourné le plus vite possible.
Cette contrainte quasi impossible, réduire 166 pages de dialogue en 2 heures de film, explique sans doute la réussite du projet. David Fincher l'explique ainsi : "Ce n'est pas parce qu'ils sont jeunes, modernes et intelligents qu'ils parlent si vite, mais parce que je devais faire tenir tout ce putain de script en deux heures. Leur vitesse de parole conduit complètement la mise en scène. Je m'y plie. Mais une scène comme celle du night-club entre Justin Timberlake et Jesse Eisenberg est purement cinématographique, car Justin est presque le seul à parler : cinq pages de dialogues uniquement sur Justin. Jesse est là et tout ce qui se passe en lui se passe dans son cerveau pendant qu'il écoute. Le cinéma est encore le seul à arriver à cette qualité de tension."
Cela commence par une scène d'ouverture, filmée très classiquement en champ-contrechamp, où Mark explique dans un bar ses ambitions à sa copine, et où celle-ci craque de devoir suivre "un tapis de course", qui jongle d'une conversation à une autre. Cette scène annonce tout le film : un rythme en permanence en surrégime, comme si le spectateur au même niveau qu'Erika n'arrivait pas à aller aussi vite que le cerveau de Mark, un personnage principal antihéros au possible, prétentieux et odieux, et qui proclame en réponse aux reproches de celle qui rompt avec lui : "Je ne veux pas d'ami".
L'amitié, c'est le thème qui traverse le film, comme elle structure le réseau Facebook. Les trois étudiants nés avec une cuillère d'argent dans la bouche, avec les Winklevoss, deux frères qui ressemblent au Prince William et appartiennent à l'équipe olympique d'aviron, constatent avec commisération : "Il ne doit pas avoir trois amis pour jouer au bridge." Un ami, il en a pourtant un : Eduardo, juif comme lui, qui rédige sur la vitre de leur chambre l'algorythme de Facemash et qu'il nomme directeur financier contre une première mise de fonds de 1000 $. Quatre ans plus tard, cet ami l'assignera devant un tribunal pour récupérer ses parts que Mark a réduit à portion congrue.
La construction du film apparaît au bout de plusieurs dizaines de minutes : il s'agit d'un double flashback, au milieu du procès que lui intente Eduardo, et de celui qu'ont engagé les Winklevoss et leur associé pour leur avoir volé l'idée du réseau social. L'amitié, c'est aussi celle, trouble, qui se noue entre Mark Zuckerberg et Sean Parker (joué par Justin Timberlake, déjà vu dans "Southern Tales "et " Alpha Dog"), le fondateur de Napster, qui partage avec lui le fait d'avoir changé le monde en rendant obsolète l'achat de CD grace à sa plateforme de téléchargement illégale. C'est Sean Parker qui pousse Mark à évincer Eduardo au nom de la nécessité du développement du réseau, l'intérêt et l'appât du gain ne laissant pas plus de palce au sentiment dans une start up que dans un trust.
Le cinéma américain a de tous temps été fasciné par le destin des magnats milliardaires, de Hearst dans "Citizen Kane" à Howard Hughes dans "Aviator". Mais c'est la première fois qu'un tel film est consacré à un personnage de 26 ans, et cela n'enlève rien à la dimension du mythe raconté. Même si la seconde partie perd un peu de la formidable énergie du début en tombant dans les figures imposées du film de procès, "The Social Network" réussit à rendre passionnant comme un thriller la banale histoire de quelques types qui assemblent quelques lignes de programme dans une chambre d'étudiant.
Critiques Clunysiennes
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