Film culte ayant révélé Danny Boyle comme l’un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération, j’ai pourtant quelques réticences à voir "Trainspotting", le sujet ne m’ayant pas forcément emballé, que ce soit lors de sa sortie en salles ou en vidéo. Puis, comme souvent avec un film unanimement considéré comme culte, le premier visionnage a été une petite déception. Il aura, donc, fallu attendre un deuxième essai pour que j’admette les qualités indéniables du film et, tout simplement, sa très grande réussite. Après un "Petits meurtres entre amis" gentiment transgressif sur le fond mais pas vraiment révolutionnaire sur la forme, Danny Boyle nous en mets, pour la première fois, plein les yeux avec une mise en scène incroyablement stylée et inventive… ce qui deviendra sa marque de fabrique. Il fallait oser, dans le cinéma anglais des années 90, se permettre un tel montage, une voix off plus subjective que descriptive, une BO rock parfaitement en phase avec son époque ("Lust for life", "Born Slippy"…) mais, également, des séquences qui marquent au fer rouge le spectateur (la scène des pires toilettes d’Ecosse, le bébé retrouvé mort puis qui revient en hallucination rampant au plafond, lors d’une crise de manque, l’overdose au son du "Perfect Day" de Lou Reed…). Ces scènes m’avaient un peu dérouté la première fois mais donne définitivement au film un cachet unique, qui s’inscrit dans la parfaite logique de son propos. Car, "Trainspotting" n’est pas seulement puissant d’un point de vue visuel. Il se veut, également, la description peu reluisante d’une jeunesse écossaise à la dérive. Edimbourgh est, ainsi, filmé comme une ville en crise, ravagée par le chômage, l’alcool et la drogue… soit un cadre à la Ken Loach, qui, en principe, a tendance à me gonfler par son misérabilisme et son manichéisme mais qui, avec Danny Boyle s’avère bien plus intéressante. Définitivement tragi-comique dans son approche, le réalisateur parvient à nous faire rire face aux déboires de sa bande de loosers (les grandes théories de Sick Boy, les crises de colères de Begbie, les problèmes de Spud, la découverte par Tommy de la disparition de sa sextape…) mais, également, à nous terrifier lorsqu’il dépeint leurs déplorables conditions de vie et leurs ambitions. En cela, Boyle ne peut être accusé de faire la moindre apologie de la drogue mais évite, également, de tomber dans le piège de la condamnation sans appel des consommateurs. C’est, d’ailleurs, la plus grande plus-value du film qui ne cache rien de la misère sociale de ses héros mais qui prend, pour autant, le soin d’en faire des personnages atypiques, voir attachants. En cela, le casting réuni par Danny Boyle est, tout simplement époustouflant. Ewan McGregor, tout d’abord, qu’on avait découvert en jeune play-boy dans le précédent film du réalisateur, est incroyablement crédible en junkie cadavérique désirant se réinsérer. Autour de lui, on retrouve le trop rare Johnny Lee Miller en magouilleur charismatique faussement cultivé, l’hallucinant Ewen Bremner en épave à l’ouest, l’énerve Robert Carlyle en petite frappe haineuse, Kevin McKidd en héroïnomane condamné, Kelly Macdonalds en jeune tentatrice (dans un rôle peu développé cependant) ou, encore Peter Mulan en dealer. On comprend, dès lors, mieux comment Trainspotting a pu faire tellement de bruit lors de sa sortie, le film cumulant les audaces visuelles et les paris gagnants…
en s’offrant, de surcroît, un final pour le moins inattendu qui confère un surplus d’épaisseur au personnage de Renton, qui pouvait être considéré, jusque-là, comme le référent du spectateur et qui s’offre un coup d’éclat.
"Trainspotting" n’a, donc, finalement pas usurpé sa flatteuse réputation et, cerise sur le gâteau, vieillit très bien.