The American
Un film d'Anton Corbijn
La tête d'affiche était prometteuse. En mettant en scène une vedette qui fait très "old school" et dont l'attitude -une froide détermination- est sans équivoque, The American semble inviter le spectateur à une course haletante.
Mais non. Autant le dire tout de suite, l'affiche est donc trompeuse. Car si le film n'est pas dénué de qualités, il ne se rapproche en rien de l'idée que l'on peut se faire d'une course poursuite. Et ce ne sont pas les allées et venues, parfois fébriles, de Jack, le personnage principal, dans les venelles de Castel del Monte qui nous ferons dire le contraire. The American est plutôt un film basé sur l'attente, une attente lourde, implacable, chargée de menaces, à tel point que le héros du film semble à plusieurs reprises dépassé par les événements, alors même qu'il renvoyait une image toute autre au début du film.
Lorsque le spectateur fait la connaissance de Jack -magistral George Clooney- celui-ci profite d'un moment de calme avec sa compagne, Ingrid, retranché dans le confort douillet d'un petit chalet perdu au milieu de la glaciale forêt de Suède. Isolé au bord d'un lac gelé, le couple va bientôt voir sa tranquilité mise à mal par d'étranges visiteurs. Des traces de pas dans la neige mettent les sens de Jack en alerte, qui comprend vite qu'on lui a tendu un guet apens. Ce dernier tournera mal, Jack sera le seul survivant. A ce stade de l'histoire, le spectateur aura compris que Jack est un loup solitaire habitué à la violence. Une violence déshumanisée, qui tient autant du réflexe primaire que d'un long apprentissage. Jack est donc un tueur à gages vieillissant, mais dont les sens légèrement émoussés lui permettent encore de se tirer indemne de traquenards minutieusement préparés.
Autrefois chasseur, Jack doit se glisser bien malgré lui dans la peau de la proie. Mais cette proie, bien que nerveuse, a désormais ses sens bien en éveil, restant à l'affut de la moindre menace. Jack est aujourd'hui un tueur gagné par la lassitude. Après avoir vécu une existence que l'on devine froide, creuse, sans attaches, il n'aspire plus qu'à une chose, se retirer. La dernière embuscade à laquelle il a échappé l'a convaincu, il doit disparaître du marché. Mais avant cela, un de ses patrons lui confie une dernière affaire à mener à bien. Il pourra ensuite se retirer du monde de l'assassinat commandité. Le temps d'y voir plus clair après le traquenard en Suède, Jack doit se faire le plus discret possible. Une ancienne connaissance l'enverra alors en Italie, dans un petit village des Abruzzes nommé Castel del Monte. Dans cette région montagneuse, Jack va se terrer en attendant de nouvelles instructions concernant son dernier contrat.
Habitué à la solitude, celle-ci lui pèse pourtant chaque jour un peu plus. Il va alors se laisser aller, baisser un peu sa garde, pour chercher de la compagnie, et se dévoiler peut-être plus que nécessaire. L'Américain va se lier avec le prêtre du village, et faire la connaissance de Clara, une jeune prostituée qui n'a pas perdu toutes ses illusions. En se rapprochant de Clara, Jack emprunte un chemin qu'il a déjà suivi. Va-t-il commettre les mêmes erreurs ? Car l'attente est longue. Prenant son mal en patience, il erre dans le village, ses déambulations le faisant parcourir invariablement les mêmes ruelles.
L'attente est pesante, les journées se succédant les unes aux autres, donnant l'impression au spectateur d'assister aux mêmes images. Quand le commanditaire du contrat fait enfin son apparition, il prend l'apparence d'une jeune femme énigmatique qui a besoin de ses services et son expertise pour une obscure raison. S'agit-il de tuer un mari, un associé, ou encore un homme politique ? Jack fera alors son travail, minutieusement, même si son esprit sera traversé par de sérieux doutes. Car après tout, il n'est peut-être pas seul à Castel del Monte. Quand il se perd dans les dédales des sombres ruelles, il se sent en effet observé, voire traqué par une menace invisible. Pourtant personne ne sait qu'il se trouve là, sauf...
En mettant en scène The American, Anton Corbijn a choisi de raconter une histoire figée, prenant pour personnages principaux des individus marquées dont le destin est scellé dès les premières images. Peu de dialogues, et encore moins d'action, pour un film dont la fin, inéluctable et prévisible, rend hommage aux classiques du film noir. L'atmosphère du film est atypique, toute en tension sous jacente. A côtés des comédiens qui, tels George Clooney, Johan Leysen ou encore Violante Placido, effectuent une partition sans fausse note, l'attente est le véritable héros de cette quête de rédemption déjà maintes fois adaptée au cinéma. Le temps qui passe est ici un personnage à part, celui qui impose sa loi sans la moindre hésitation, et qu'aucun obstacle ne peut dévier.