Castelvecchio (de son vrai nom Castelvecchio Subequo), petit village perdu en plein centre de la botte italienne, quelque part dans la région des Abruzzes. Le vrombissement d’une Fiat Tempra vient troubler la quiétude silencieuse de ce lieu endormi dans une sorte de léthargie routinière. Au volant de ce véhicule, un homme au regard sévère caché derrière des lunettes de soleil. Il s’arrête sur une sorte de petite place, sur laquelle quelques habitants s’affairent sans passion, mais observent cet étranger comme un intrus. Ils le regardent avec la plus grande attention, comme pour photographier à la fois l’homme et cet instant à tout jamais. L’inconnu en fait de même, scrute chacune des personnes présentes et les alentours sans échanger le moindre mot, dans cet environnement où le temps semble s’écouler à un rythme différent de partout ailleurs, pour ainsi dire au ralenti. Et comme si la réponse était venue d’elle-même, l’homme remonte dans sa voiture et effectue un demi-tour sur cette petite place, une petite place toutefois suffisamment grande pour ne pas avoir à y manœuvrer, toujours sans la moindre palabre prononcée, pas même une maigre formule de politesse. La Fiat Tempra et son mystérieux conducteur s’éloignent, en direction de Castel del Monte, situé à quelques kilomètres de là. Castel del Monte : un village pittoresque (classé parmi les plus beaux villages d’Italie) accroché aux flancs d’une des montagnes des Abruzzes. Point de vue rythme, le ton est donné. Le film va se dérouler sur une lenteur qui peut en rebuter plus d’un, mais qui permet de rentrer au plus près dans la psychologie de ce personnage en permanence sur ses gardes. Même la musique est peu présente. Anton Corbijn a préféré se concentrer entre autres sur le bruit de la respiration haletante, le passage des mains sur un visage mal rasé qui donne un bruit de scratch, bref : il essaie de faire vivre le spectateur ce que vit le personnage principal. Hanté par de nombreux questionnements dont on ne sait pas grand-chose, les informations relatives à cet américain sont données au compte-goutte. On ignore presque pourquoi cet esprit semble aussi tracassé. Est-ce parce qu’il a failli être tué dans un lieu qu’il pensait être le seul à connaître ? Ou est-ce parce qu’il a dû éliminer sa compagne du moment ? Est-ce cet état de légitime défense qui lui fait avoir un avoir un certain recul sur son passé au point de le rebuter ? Ou est-ce parce qu’il fait une rencontre ? Ou encore est-ce parce qu’il se sent à l’état de cible ? A moins que ce ne soit un peu tout ça à la fois… Mais déjà, avec son air peu avenant (pas du tout avenant, même !), le spectateur sait qu’il pratique un job peu recommandable. La paranoïa ne quitte d’ailleurs jamais le personnage (il y a de quoi) aux multiples identités, et voit en certaines personnes un danger potentiel, tel un comportementaliste affirmé. Une belle interprétation de la part de George Clooney, très différente de ce que nous avons pu voir de lui jusqu’à présent. Quant à la mission, le spectateur ignore, tout comme Jack (ou Edward), qui est la cible. Lui ? Quelqu’un d’autre ? Il sait juste qu’il n’y en a qu’une, et que ce n’est pas l’américain qui est chargé de presser la détente. La volonté de brouiller les pistes est fort louable, car ça permet de maintenir du suspense dans un scénario somme toute bien peu palpitant et dans lequel il ne passe pas grand-chose. Pour ceux qui, en regard de la bande-annonce, pensaient regarder un film empli d’action, ils risquent d’être forts déçus et de noter sévèrement ce long métrage. Les scènes d’action sont finalement peu nombreuses, dont une parait un peu fort de café avec un scooter type Vespa qui roule aussi vite qu’une voiture. A la place, l’ambiance anxiogène prend le dessus, et le spectateur a lui aussi tendance à se laisser envahir par la paranoïa. Il y a de quoi, la mise en scène y est pour beaucoup, puisque la caméra s’attarde sur les personnes au comportement suspect. Un bol d’air frais est cependant incorporé par l’intermédiaire d’une romance, une histoire d’amour qui démarre somme toute d’une façon peu banale. Il faut dire que la fraîcheur, la plastique, la beauté et la relative insouciance de l’italienne Violante Placido sont à en tomber par terre. Qu’est-ce qu’elle est agréable à regarder ! Dans un autre genre, plus bon chic bon genre, Thekla Reuten complète le plaisir des yeux. En parlant de plaisir des yeux, c’est également un vrai régal de découvrir les ruelles étroites et torturées de ce charmant village qui offre une vue imprenable sur la vallée. Et le dépaysement est complété par cet écrin de verdure traversé par une rivière autour de laquelle virevoltent fièrement des papillons, pour certains en voie de disparition. Mais en dehors de ça, l’histoire parait un peu brouillonne. La cible a-t-elle été changée ou pas ? On n’en sait rien ! Seule l’équipe technique du film peut répondre à cette question, quoique j'ai ma petite idée sur la question. Le fait est que ça amène un sacré coup de théâtre : un modèle d’anticipation de cet américain qui nous offre quasiment un tuto quant à la réalisation d’un atténuateur de bruit. Mais le côté fouillis du scénario plombe un peu tout, laissant un certain nombre de questions sans réponses. Dommage !