La Münch Mammut est une moto allemande créée en 1968 qui présentait la particularité d'utiliser un moteur de voiture en l'occurence un NSU de 1200 cc, et dont le surnom était dû à son allure de mastodonte. C'est ce engin devenu culte qui dormait sous une bâche depuis des décennies dans le garage du pavillon de Serge et de Catherine Pilardosse que ce dernier va prendre pour partir en quête de ce qu'il appelle ses "papelards", et pour sillonner les Charentes et leurs alentours à un rythme que Catherine qualifie "de retraité".
Mammuth, c'est aussi le surnom que trimbale Serge depuis des décennies, rapport à son physique massif. C'est ainsi que l'appellent spontanément tous ceux qu'il retrouve sur les lieux de ses boulots d'antan, fossoyeurs, motards, vignerons, ou videurs de boîte de nuit. Parti comme Jacques Dufilho sur son side-car dans "Une journée bien remplie" (film que j'évoquais déja dans ma critique de "Louise-Michel") avec un itinéraire bien défini, faute de partager avec le héros de Trintignant une réelle motivation, Serge se perd rapidement au fil de ses pérégrinations et des rencontres qu'il fait, voulues ou non, et le récit avec lui prend des tours et des détours de plus en plus erratiques.
Ma critique de "Louise-Michel" soulignait positivement la construction de l'histoire, et situait la faiblesse du film dans la vacuité caricaturale des personnages. Je fais référence au précédent film du duo, vu que de nombreux aspects de celui-ci se retrouvent dans celui-là : le petit discours du patron (ici le pot de départ de Serge, parasité par le bruit de mastcation des collègues du récipiendaire d'un magnifique puzzle de 2000 pièces), le principe du road-movie sinueux, la présence de Yolande Moreau, Bouli Lanners, Siné, Miss Ming ou Benoît Poelvoorde, ou encore la musique de Gaëtan Roussel (ex Louise Attaque).
On retrouve ici les mêmes qualités, à savoir l'existence d'une histoire plus stricturée qu'il n'y paraît s'appuyant sur une question sociale d'actualité (après les patrons voyous, les retraites), et même si certians aspects agaçants persistent, comme la scène inutilement provocatrice de la masturbation, le reproche du manque d'existence des personnages disparaît. Yolande Moreau porte la culotte du couple, et elle manifeste une ironie et une autorité qui la sort du personnage hébétée de Louise. Quant à Gérard Depardieu, il réussit l'exploit d'imposer son personnage de taiseux balourd par sa seule présence.
Quelques scènes suffisent à introduire son personnage : son altercation avec le boucher du Super-U (joué par Gustave Kervern) sur l'amour du travail bien fait dans le jambon, sa piteuse tentative de réparation de la serrure des WC. Puis progressivement, il impose sa lourde carcasse à la Mickey Rourke (façon "The Wrestler ", avec en commun la charcuterie et la fantasie capillaire) à coup de fréquents silences et de rares explosions.
Le principe même du road movie permet des rencontres improbables ; "Mammuth" n'y déroge pas. On croise ainsi Dick Annegan en fossoyeur chantant, Siné en patron viticole odieux, Ana Mouglalis en routarde de l'arnaque minable, avec une mention spéciale pour Bruno Lochet en V.R.P. s'effondrant après un coup de téléphone dans une salle de restaurant peuplée d'hommes seuls qui craquent à leur tour. Et puis, il y a la présence d'Isabelle Adjani, l'amour de jeunesse perdu, dont les apparitions qualifiées à juste titre de bunueliennes par Christophe Carbonne dans Première ponctue le voyage de Serge, le transformant d'une simple collecte en pélerinage sur les traces d'un passé enfoui.
Tour à tour grave et léger, pamhlétaire et poétique, "Mammuth" marque une étape dans le parcours de Benoît Delépine et Gustave Kervern. Malgré la subsistance de quelques scories grolandaises, leur quatrième film présente une cohérence et une maîtrise de différents registres qui leur faisait défaut jusqu'à présent, et offre à Depardieu un de ses meilleurs rôles depuis bien longtemps.
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