Il y a des destinées incroyables, même dans les pires événements que Dame Nature nous réserve. C’est le cas d’une famille espagnole, aux premières loges du tsunami le plus meurtrier de l’Histoire. On parle en tout et pour tout d’un effroyable bilan humain de 220 000 à 250 000 morts selon les sources. A l’occasion de son second long métrage, Juan Antonio Bayona s’est inspiré de l’incroyable histoire de cette famille pour nous raconter de l’intérieur l’ampleur du désastre. Et même si le sentimentalisme semble appuyé, rien n’est surfait tout simplement parce qu’il a su garder une caméra contemplative. Un peu comme s’il s’était décidé à suivre sans interférer les personnages dès leur arrivée sur leur lieu de vacances dans un petit coin de paradis, de la même manière que les journalistes suivent les animaux évoluant exclusivement dans leur milieu naturel pour réaliser un reportage animalier avec son lot de drames et de moments de bonheur qui parsèment la vie sauvage. Cela passe par quelques inévitables longueurs, pour une fois plutôt bienvenues. "The impossible" est aussi un bel hommage au fameux sixième sens qu’est l’envie de vivre, au courage d’une mère qui, en dépit de ses nombreuses blessures, se soucie du sort de son enfant, et de ceux qui ont besoin d’aide. Le spectateur s’en doute, la scène la plus compliquée a été la reconstitution du raz-de-marée. Alors que six équipes spécialisées dans les effets spéciaux y travaillaient dessus, un an a été nécessaire pour créer la séquence la plus impressionnante du film, une séquence de seulement… une dizaine de minutes. Une séquence sur laquelle aucune image numérique n’a été utilisée. Le réalisme des effets spéciaux progresse à grand pas, mais l’eau pose toujours problème quant au réalisme. Mais alors comment ont-ils fait ? Apparemment, ils ont leur petit secret de fabrication et j’ai envie de dire tant mieux. Parce que le résultat est là. Et le spectateur se retrouve lui aussi submergé dans ces eaux furieuses emportant tout sur leur passage : une plongée aveugle où plus aucun repère n’existe. Le maître mot de ce film est le réalisme : les arbres qui se couchent les uns après les autres sous la puissance de la déferlante, les corps sans vie disséminés ici et là, les cris désespérés qui ont peine à meubler le lourd silence du calme suivant le cataclysme, la solidarité de la population locale, le chaos désordonné des services hospitaliers, l’indéfectible besoin de retrouver les siens, mais aussi le comportement de certaines personnes qui ne pensent qu’à elles alors qu’elles sont dans la même galère. Le réalisme passe aussi par un jeu superbe de sobriété de l’ensemble des acteurs, en particulier Naomi Watts (nominée aux Golden Globes et Oscars 2013 en tant que meilleure actrice) et Tom Holland. Une performance d’autant plus louable que ce sont ces deux-là que nous avons le plus souvent à l’écran. Enfin je crois. Les autres acteurs ne déméritent pas pour autant, allant jusqu’au très joli caméo de Géraldine Chaplin, ou encore l’intervention salvatrice de ce personnage au teint hâlé et à la silhouette filiforme venu d’on ne sait où campé par un homme a priori resté lui-même. Le réalisme est également rendu grâce aux plans serrés sur les visages abîmés par cette tragédie, des visages torturés par le désespoir et la douleur à la fois physique et psychologique, sans pour autant éclipser totalement l’espoir. Le réalisme est dû aussi à ces plans presque accidentels sur les blessures, sur les cadavres humains et animaliers trouvés lors de l'errance des personnages au beau milieu de ce paysage de désolation. Des images fortes, des images qui peuvent heurter la sensibilité du jeune spectateur, que la télévision veut préserver ici par cette interdiction faite aux moins de 12 ans alors que là-bas, les enfants n’ont pas été épargnés par l’horreur de la situation. En salles, il y avait seulement un avertissement pour les jeunes téléspectateurs âgés de moins de 10 ans... Il est vrai que la situation est montrée crûment, complétée par des longs alignements de corps sans vie. Pour parfaire ce réalisme, outre le fait qu’il faut féliciter le jeu d’acteur, les effets spéciaux et la caméra contemplative de Bayona, je crois qu’il faut en faire de même pour les maquilleurs. Car là aussi réside un travail établi à une grande échelle. Et comme "The impossible" est inspiré d’une histoire vraie, il parait difficile de prendre à contre-pied le spectateur, de le surprendre, et de le détourner sur un chemin autre que celui attendu. Car l’histoire de cette famille est retracée selon le témoignage de María Belón, présente sur le tournage en venant apporter des précisions utiles malgré le traumatisme de ce tragique événement, en dépit des nombreuses opérations chirurgicales qu’elle a dû subir, et des remous provoqués par le réveil des souvenirs pour reconstituer son histoire: la sienne et celle de sa famille. Un courage digne d’une mère courage telle qu’elle nous est montrée à l’écran. Nous pouvons saluer cela. Malheureusement, tout n’est pas parfait. La faute à une musique parfois un tout petit peu trop présente. Certes elle est discrète et nullement tapageuse. Mais certaines scènes auraient mérité de rester dans leur jus, sans support musical. Rien de bien grave, c’est juste que ça appuie par moments un peu trop le sentimentalisme. Quoiqu’il en soit, Bayona réussit un véritable tour de force en amenant le spectateur à espérer pour cette famille, à craindre le pire pour cette mère courage, et nous faire toucher du doigt l’ampleur du drame comme aucun média n’a réussi à le faire à cette époque. Une immersion totale, dans tous les sens du terme.