Fans du comics ou non-connaisseurs, nous étions nombreux à attendre avec excitation cette adaptation confiée au petit nouveau Tim Miller, projet porté avec cœur par un Ryan Reynolds investi à fond dans l'entreprise. Largement avant sa sortie, "Deadpool" s'était démarqué par sa promo rudement efficace et d'une inventivité à toute épreuve : omniprésent sur les réseaux sociaux, l'anti-héros tout de rouge vêtu apparaissait régulièrement dans des affiches provocantes et surtout des spots TV tous plus barrés les uns que les autres, brisant le quatrième mur à coup de répliques graveleuses qui laissaient déjà entrevoir une volonté de coller à l'esprit du comics. Le trailer jouissif aurait pu être considéré comme suffisant, pourtant ils ont décidé d'en remettre plusieurs couches... et à juste titre ! Un matraquage parfaitement exécuté.
Toutefois, à mesure que le projet prenait de l'ampleur par sa campagne marketing démente, une inquiétude naissait en moi : et si cet enthousiasme retombait brutalement une fois face au film ? Après tout, qui dit grandes attentes dit déception plus facile. Et il faut dire que les doutes étaient légitimes : réalisateur inconnu au bataillon, acteur au talent certain mais à la filmographie inégale (dont une incarnation lamentable dudit Deadpool dans le navet "X-Men Origins : Wolverine", ce qui n'est bien sûr pas de sa faute), films de super-héros la plupart du temps calibrés pour le grand public et bridés par les exigences hollywoodiennes... Certes le trailer était plutôt rassurant, mais nous savons tous combien il est naïf de croire qu'une bande-annonce est déterminante de la qualité globale d'un film.
Et soudain, mes doutes s'éclipsèrent ! Cette adaptation s'impose clairement comme l'OVNI complètement jobar dans le monde bien sage des super-héros. Super-héros ? Que dis-je ! Wade Wilson/Deadpool n'est pas un super-héros, c'est un tueur complètement allumé qui se distingue par son immoralité et son humour noir chargé d'irrévérence et de mauvais esprit. Il rejette systématiquement chaque invitation à rejoindre les X-Men, qu'il n'hésite d'ailleurs pas à bâcher violemment à plusieurs reprises. Deadpool s'en fout tellement qu'il va jusqu'à repousser les lois de la fiction en défonçant le quatrième mur dès que ça le chante pour s'adresser directement au spectateur. Voilà pourquoi on l'aime, ce perso, parce qu'il est à part et fait office de vilain petit canard au milieu de cette vaste bande de justiciers costumés qui à la longue se ressemblent tous et fouettent un peu trop la bien-pensance et le patriotisme.
Mais revenons au film lui-même : c'est un festival de punchlines cinglantes et corrosives, de gags insolites et désopilants, de scènes d'action joliment exécutées. Comme promis - et la classification R-Rated nous l'avait déjà plus ou moins confirmé -, celles-ci ne lésinent pas sur la violence et l'hémoglobine. Et par chance, en plus du sang la qualité est au rendez-vous : les séquences de fights sont fluides, bien orchestrées et stylisées juste ce qu'il faut avec quelques ralentis çà et là. Le spectacle est bien présent, mais à aucun moment le film ne sombre dans la démesure pyrotechnique dont les productions superhéroïques sont trop souvent victimes : nous sommes ici dans un moyen budget, et ça se sent (tant mieux). Au bout d'un moment, on ne compte même plus les innombrables références musicales et cinématographiques (« Je vais te faire ce que Limp Bizkit a infligé à la musique des 90's ! »). J'aimerais m'arrêter un instant sur ce point. Placer des clins d'oeil dans un film, c'est tout un art : un œuvre trop ou mal référencée a tôt fait de devenir indigeste. En l'occurrence, chaque référence a été mûrement réfléchie par le scénariste et trouve sa raison d'être au milieu de ces dialogues percutants. Ce n'est jamais gratuit, et ça passe comme une lettre à la poste. Ryan Reynolds, qui ne manque décidément pas d'autodérision, va jusqu'à s'auto-clasher à deux reprises en évoquant implicitement l'échec artistique de "Green Lantern" et en citant carrément son propre nom au moment où on s'y attend le moins, simplement pour le salir d'une manière hilarante. Décidément j'apprécie ce bonhomme, qui m'avait déjà convaincu dans "Buried", bluffé dans "The Voices" et qui maintenant nous éclate autant qu'il s'éclate dans le costume moulant du justicier timbré, jusque dans la scène post-générique qui ne manquera pas de déclencher un dernier éclat de rire.
Niveau scénario, on remarque dans le schéma un certain respect des conventions, mais l'on constate dans l'exécution une manie de les envoyer valser une par une. Il est vrai que l'histoire au fond n'a rien de surprenant en dépit de son montage non linéaire qui lui confère un rythme plus sympathique qu'une chronologie rigoureuse. On a droit comme d'habitude aux fameuses origines du pouvoir, à l'histoire d'amour compromise, au méchant bien manichéen, au happy-end prévisible... sauf que, comme je l'ai dit précédemment, c'est dans son esprit décomplexé et dans sa capacité à surprendre par ses gags et ses répliques que l'écriture de ce "Deadpool" trouve sa force et sa singularité.
Le casting, enfin, est irréprochable. Bien sûr, Reynolds porte le film sur ses épaules mais il est clair que les seconds rôles aussi crèvent l'écran tant sur le plan de l'écriture que de l'interprétation. Que ce soit la petite amie, frappée du bulbe à l'instar du héros et bien loin des godiches blondes habituelles, ou bien le pote barman qui n'épargne jamais le pauvre Wade avec ses vannes violentes, ou encore Colossus, masse de métal à l'accent russe accompagnée de l'adolescente désinvolte qui lui sert de sidekick, sans oublier la vieille coloc aveugle dealeuse de coke qui galère sans cesse à monter ses meubles Ikéa sous les railleries de Deadpool, tous les personnages et toutes les prestations se savourent avec bonheur. Finalement, c'est bel et bien le méchant du film qui retiendra le moins l'attention, chose que je ne considère pas comme un échec mais plutôt comme une répartition un peu particulière des valeurs de chaque personnage.
Vous l'aurez compris, "Deadpool" apparaît comme une bouffée de fraîcheur dans le paysage Marvel car il a su, à l'inverse de ses collègues "Avengers" & co, conserver une certaine liberté de ton, un côté un brin indé comme l'avaient fait "Les Gardiens de la Galaxie" et "Kick-Ass" auparavant dans des registres différents mais avec ce même second degré et ce désir de transgression. Il n'a rien d'un film stupide calibré pour les ados comme j'ai pu lire ailleurs : c'est une comédie noire à l'humour trash et décalé qui ne plaira certes pas aux âmes puritaines bloquées dans leur insoutenable pudeur et leur criant manque d'humour - ma foi, à chaque oeuvre son public, et ce vaste délire subversif n'est pas destiné à faire consensus.
Les autres - qui savez rire et n'êtes pas coincés du postérieur, je vous recommande hautement de foncer le voir, et en VO de préférence - c'est le genre de films qui perdent beaucoup de naturel en VF, aussi compétents que soient les doubleurs.
Vivement la suite !