Et oui une flopée d'étoile pour ce documentaire... pour ce film inachevé... Tout passionné du cinéma doit voir ce documentaire exceptionnel sur ce film maudit d'Henri-Georges Clouzot qui en lui donnant le titre "L'Enfer" collait bien à ce qui allait advenir sur le tournage, totale bérézina ! Réflexion sur les affres de la création d'un génie de l'image, au travers de ses propres obsessions et névroses, ce documentaire nous montre que le cinéma est un Art, avant d'être un produit commercial, et fera réfléchir tout cinéaste en herbe fasciné par les techniques et effets spéciaux virtuels utilisés aujourd'hui en leur montrant que le chemin est long, très long avant de pouvoir dire: "regardez j'innove! je révolutionne l'image ! Je suis un génie !"... En exhumant les essais de Clouzot et son travail sur les couleurs, sur le son avec les acteurs de son film, les rushs du tournage en extérieur, Serge Bromberg nous donne à voir que si ce film avait été achevé, il aurait révolutionné l'image, le cinéma mondial dans son ensemble, tout en ayant de puissants détracteurs vu les tabous que Clouzot aurait fait explosé dans sa façon de traiter le sujet: la jalousie paranoïaque et ses obsessions et fantasmes érotiques. Clouzot aurait certainement fait école, aurait atteint l'aura d'un Kubrick. Il faut dire qu’il connaissait bien le sujet : il était atteint de cette névrose obsessionnelle. Des images fortes, obsédantes, des séquences sublimes, certainement les plus belles que j'ai vues chez Clouzot. Je n’ose imaginer- où je me plais à imaginer le résultat final de l’œuvre. Puis les acteurs : un Serge Reggiani, qui malgré le manque de bande son (disparue à jamais), parvient à nous faire ressentir un malaise profond, en restituant rien que par le regard sa folie galopante. Une Romy Schneider au sommet de sa beauté, érotique, obsédante... certainement objet de fantasmes chez Clouzot! Dany Carrel, parfaite en femme libérée, tentatrice fantasmée et honnie par Reggiani… Puis cette séquence où Romy fait du ski nautique sur le lac artificiel, où l’on voit Reggiani au fond du cadre courir sur la berge… Alors pourquoi « L’Enfer » est-il devenu un véritable enfer pour toute l’équipe de tournage, pour les acteurs ? Clouzot était-il dépassé par la liberté qu’on lui laissait où par le sujet du film lui-même ? Les interviews des intervenants ayant participé au tournage nous donne quelques pistes : trop perfectionniste… il devient l’artisan de son propre échec vu le poids de la production mégalo en œuvre… pas de garde-fous… une liberté totale ! Forcément un piège ! Comme son propre génie (on peut parler vraiment de génie, le mot n’est pas trop fort) le poussant irrémédiablement à l’implosion , d’où l’infarctus au bout de trois semaines de tournages… Il y a certainement une part inconsciente d’auto-destruction de l’œuvre en train de se créer par réflexe de survie car Clouzot jouait, en faisant ce film, avec ses propres obsessions… Il ne pouvait donc pas ressortir indemne de l’aventure, elle l’aurait totalement détruite si elle avait atteint son terme, comme elle aurait détruit en partie les acteurs principaux… C’est aussi pour cela que Reggiani, atteint d’une maladie mystérieuse (psychosomatique ?), quitte le tournage brutalement, à bout…
Revenons sur la forme du documentaire en lui-même qui fait exister le film seul, il y a les interventions filmées de Jacques Gamblin et Bérénice Béjo que je trouve déplacée, c’est le seul bémol car il y a cette séquence muette où Romy va faire des courses en ville, sonorisée par Bromberg, avec la voix de Reggiani, qui nous permet de nous rendre compte concrètement de ce que cela aurait donné, suffisait amplement…
En voyant ce documentaire, oublions la version de Chabrol avec Béart et Cluzet (superbe dans le rôle de Marcel) qui reste un film très chabrolien et très éloigné de ce que Clouzot voulait faire de ce sujet qui était son obsession personnelle…