Le « chaînon » manquant du titre s’incarne à l’écran sous les traits d’un vieux singe habillé en majordome qui fut jadis la vedette d’un cirque – vedette enflammée, d’où sa fascination pour le feu. Choix on ne peut plus intéressant puisque l’univers circassien, associé au dressage qu’il fait subir à ses animaux, atteste cet état intermédiaire entre l’homme et la bête, quoique la distinction entre eux s’avère floue, en témoigne l’ouverture post-générique du film au cours de laquelle le professeur interroge ses étudiants sur la différence fondamentale entre l’humain et le singe.
Le récit offre ainsi une parabole du processus de civilisation imposé ici à l’animal, processus d’apprentissage dont le dérèglement conduit les protagonistes à se bestialiser : un plan montre Jane accroupie sur le sol tel un primate, de la même façon que les déplacements de Steven ont quelque chose de simiesque. La redistribution des espèces permet au long métrage d’éviter l’anthropomorphisme, restitue celles-ci dans la brutalité congénitale de leurs rapports, y compris sociaux – les relations qui unissent le professeur et son assistance sont marquées par une subordination stricte teintée de misogynie. Link peut alors se lire comme l’histoire d’une vengeance, celle d’un animal dénaturé qui, confronté à sa disparition imminente, se révolte ; il périra d’ailleurs en héros tragique par sa seule passion : le feu. Aussi échappe-t-il au manichéisme qui définit tant de productions horrifiques mettant en scène des animaux sadiques ; une opacité certaine règne sur l’orang-outan, ses motivations ne sont jamais explicitées ni verbalisées : un regard, ouvert à l’interprétation.
La mise en scène de Richard Franklin, d’une maîtrise remarquable, multiplie elle aussi les focalisations et construit une impression de surveillance permanente, à la limite de la paranoïa. Dès qu’elle entre dans le domaine du manoir, Jane est en danger : les chiens errants, les visites impromptues, la violence des singes… Pourtant, elle ne devient jamais une victime à sauver, et l’irruption du petit-ami mute en sauvetage de ce même petit-ami. Non seulement elle sait seule se tirer d’embarras, mais elle aide également son entourage, jusqu’au jeune chimpanzé prétendument mignon. Il y a donc ici un sous-texte féministe important, mais guère démonstratif, qui pose la question de l’épanouissement d’une femme dans un milieu exclusivement masculin – puisque la femelle Vaudou ne fait pas long feu. Himp et Link traduisent deux états de la prédation : la naissance du désir, avec cette tache suggestive sur la robe de la jeune femme à son arrivée ; le voyeurisme transformé en jalousie quand le vieux majordome suspecte une attirance de la nouvelle venue pour le plus jeune, Himp. La sexualisation du personnage de Jane n’intervient d’ailleurs qu’une fois par le point de vue de Link, dans la salle de bain.
Preuve supplémentaire de l’intelligence redoutable de ce film à l’atmosphère unique, tout à la fois oppressante, terrifiante, tragique et drôle. La partition musicale que signe Jerry Goldsmith achève de faire de Link un chef-d’œuvre méconnu ou mésestimé, à (re)découvrir d’urgence dans sa version intégrale éditée chez Le Chat qui Fume.