A la fois satisfait et déçu par cette adaptation du livre de Raymond Chandler, l'un des grands classiques de la série noire. Globalement très respectueuse de la densité de l'oeuvre, cette version cinéma a la chance d'avoir compté Faulkner parmi les rédacteurs de son scénario. Les légers remaniements de l'intrigue s'avèrent au départ très justes, permettent de respecter scrupuleusement le roman tout en l'allégeant de ses passages les moins essentiels. Un point important, tant le fil de cette intrigue doit s'avérer délicat à suivre, si on a pas lu l'ouvrage en question, qui ne s'embarrassait déjà pas d'une clarté qui n'aurait rien à faire dans le genre, qui se doit évidemment de multiplier les recoins d'ombre dans le fond comme dans la forme. Mais vraiment, l'adaptation est scrupuleuse, reproduisant souvent des dialogues entiers, prenant soin de soigner ceux qu'elle incorpore en respectant la parfaite cohérence du ton et les contours des personnages. Le problème finit par venir du rôle extrêmement important (comparativement au livre) accordé à Lauren Bacall, qui finit par dénaturer un poil le propos du livre de Chandler, où plus que jamais dans le roman noir, les personnages, dévorés par leurs parts d'ombre, voyaient disparaître la possibilité de construire une relation stable, malgré l'attirance exacerbée qui se cachait derrière la plume cynique et efficace de Chandler. Alors voilà, certes les remaniements du final ne sont pas honteux, mais je ne peux m'empêcher d'en conserver une petite gêne. D'un autre côté, comment reprocher à Hawks d'avoir mis en avant l'alchimie manifeste entre la splendide Bacall et Humphrey Bogart, son partenaire à la ville. Celle-ci éclabousse chaque plan, et marque nettement la construction du long-métrage. Bogart, en dehors de ça, a très bien compris le personnage de Marlowe, même si je l'aurais presque souhaité encore un peu plus insolent. Sinon, on note à nouveau les interférences de la censure de l'époque, et son fameux code Hays, qui supprime par exemple l'homosexualité de certains personnages. Heureusement, le bouquin n'était pas le plus vénéneux qui soit, ne tombant jamais vraiment dans l'excès, et Hawks pare très bien à cette légère perte en se concentrant à fond sur le charisme de Bogart. Son rôle de réalisateur, malheureusement, se cantonne à cela, tant un classicisme sans grande ambition règne sur sa mise en scène, avant tout concentrée sur le travail et la présentation du récit (comme souvent à l'époque). Pour qui a déjà lu le roman, cette absence de plus-value formelle n'est pas dérangeante, mais j'aurais quand même souhaité que la forme essaie davantage de faire corps avec le fond. Il serait quand même très dur de cracher sur la propreté du noir et blanc et l'élégance sans bavure des cadrages, qui ne subliment peut-être pas le matériau, mais sont loin de lui faire déshonneur. Bref, un classique incontestable, que j'aurai sans doute davantage apprécié si je n'avais pas constamment, du fait de ma lecture du roman, eu un temps d'avance sur le scénario. Après tout, enlever au film noir le droit de nous perdre constamment, c'est le priver d'une partie essentielle de ce qui en fait la force. Voilà pourquoi, en définitive, ma note ne veut pas dire grand chose.