Quand on parle de cinéma belge, on évoque tout de suite les frères Dardenne, Jaco Van Dormael, Benoît Mariage, Lucas Belvaux ou Bouli Lanners, c'est à dire des réalisateurs qui tournent en français et produisent en Wallonie. Normal, car la communauté de langue assure à ces films une distribution "naturelle" en France. Pourtant, quand on regarde le box office belge depuis 1996, parmi les 50 films ayant eu le plus de spectateurs au plat pays, noyés au milieu des blockbusters américains et de trois comédies françaises, on ne trouve que trois films 100 % belges, tous flamands : "Loft" et "La Mémoire du Tueur", d'Erik Van Looy, et "Oesje !", de Ludo Cox.
La sisson entre le cinéma francophone et neerlandophone n'est pas récente, puisqu'elle date de l'apparition du parlant. Si pendant des décennies, réalisateurs wallons (Delvaux) et flamands (Kümel) partagent le réalisme magique, aujourd'hui le cinéma francophone se caractèrise par le réalisme social d'une part, et le goût de l'absurde d'autre part, alors que le cinéma flamand lorgne plutôt du côté des films à l'américaine, et rares sont les films belges qui rencontrent le succés dans les deux communautés linguistiques. Citons juste l'exception représentée par Stijn Coninx, réalisateur flamand qui a tourné "Soeur Sourire" en français.
Présenté à la Quinzaine de Réalisateurs, "La Merditude des Choses" se présente sous la forme d'un récit à coup de flashbacks, celui de Gunther devenu adulte et en passe de devenir père à son tour, et qui revient sur son enfance à Reetveerdegem (traduit par Trouduc-les-Oyes). Il se rapproche en cela d'autres chroniques familiales décalées comme "C.R.A.Z.Y." du Québecois Jean-Marc Vallée, ou "Les Berkman se séparent", mais s'il y a une indéniable nostalgie pour la folie et l'amour au sein du clan, la conclusion qu'en tire le héros est qu'il a eu raison d'en partir pour sa propre préservation.
Car s'ils ne sont pas vraiement méchants, les Strobbe sont affreux et sales, et leurs occupations vont du Karnaval flamand , "rite de purification annuel", où déguisés en filles ils écument les bars, aux courses cyclistes nues organisées par le bistrot local ou aux concours de beuverie dont on repart au volant, et les principes éducatifs qu'ils assènent au jeune Gunther méritent chacun un appel au 119 : "ta vie commence quand tu baises", "Un Strobbe ne fuit pas" (quand il demande à aller en internat), ou "C'est bien, ça te fait grandir" (quand il a pris une cuite).
Seul personnage à peu près raisonnable dans la tribu, la grand-mère, sorte de Ma Dalton angélique que l'on voit compter les quelques Francs Belges du foyer sur la musique de "Pretty Woman", le tube de Roy Orbison, chanteur préféré des quatres frères qui vont se taper l'incruste chez le voisin iranien pour assister à son retour sur scène, la télé ayant été embarquée par l'huissier. On le voit, Felix Van Groeningen ne fait pas dans la dentelle, en étant semble-t-il fidèle au roman de Dimitri Verhulst, et la complaisance dans la description du quotidien de ce lumpenprolétariat alcoolisé et tribal gêne plus d'une fois.
"La Merditude des Choses" souffre sans doute d'un problème de tonalité : la description souvent cocasse de la misère intellectuelle et sociale des quatre frangins et de leur environnement se veut être contrebalancée par le point de vue de Gunther devenu adulte et de son rapport à la paternité, mais cet aspect contemporain de la narration tombe vite dans le larmoyant ; et là encore, Felix Van Groeningen s'arrête à mi-chemin, avec la scène finale qui contredit l'intention annoncée durant tout le film. A la fois trop sale et trop sage, le film ne parvient finalement ni à choquer radicalement, ni à émouvoir franchement.
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