Ah, la famille. Toujours si présente pour nous surveiller, pour voir si tout ça va bien, et pour nous gronder si on fait des bêtises. Aujourd’hui, un cameraman est arrivé dans notre maison. Papa et maman nous ont prévenus qu’il resterait un bon mois à nous filmer dans notre vie quotidienne. J’aime mes parents, ils ont tout donné pour moi, j’aime ma soeur, qui est si prévenante, j’aime mon frère, qui est si intelligent, j’aime mon frère et ma soeur, qui sont tout pour moi. Je suis la fille aînée, je vais vous raconter une belle histoire, la même histoire que me contait mon père adoré lorsque, au coucher, je faisais des cauchemars atroces. « Canine » est superbe, « Canine » est aussi cru et intense qu’il est aussi juste dans sa réalisation folle. Ses plans fixes installent un sentiment de proximité et de froideur entre le spectateur et ces personnages aux attitudes si singulières. On regarde l’oeuvre d’un oeil fuyant, on ose à peine se faire un avis sur la vie familiale, burlesque et cruelle, projetée à l’écran. Notre machine à pensées est ciselée pour plus d’une heure, notre souffle, plaquée contre notre palais, ne pouvant même plus s’abreuver d’une once de salive pour faire redémarrer la machine, virulente, déchirante, grâce à cette atmosphère écrite aux cordeaux qui laisse pourtant entrevoir une certaine humanité. On peine à ne pas oublier à quel groupuscule on a affaire : juste une famille, avec trois enfants majeurs qui couchent ensemble avec le consentement muet des parents, qui les observent en train de danser en pensant au bonheur de procréer, d’éduquer et surtout de garder. Jour 1. Nous avons pu apprendre de nouveaux mots, aujourd’hui. Enregistrés sur des chattes, ces derniers doivent être appris par coeur pour qu’on ait la chance de recevoir la joie de ces êtres si chers que sont et que représentent nos parents. Christina est encore venue à la maison. Mon frère et elle se sont enfermés pour s’accrocher, je les ai vus à la travers la lunette de la porte. J’ai trouvé ça bien beau. Ma mère m’inquiète. Cela lui arrive de parler, toute seule, dans la grande chambre. Je ne l’ai pas encore signalé à papa, mais à ma soeur. Ce qui est aussi intriguant, avec « Canine », c’est le ton direct et assuré que prennent les interprètes pour dire leurs dialogues. On est saisis de par l’intensité qui déborde du cadre strict imposé par l’auteur, foudroyés par la pression alarmante délaissée par une grande partie des plans. Jour 2. Un avion est passé, et est tombé dans notre jardin. Il m’était destiné, purement et simplement. Mon frère ne l’entendait pas de cette embouchure. Alors j’ai frappé. UN, DEUX, TROIS coups. Il est tombé, mais était encore d’attaque, et à réussi à me piquer l’avion. Je l’ai suivi jusqu’à la cuisine, et j’ai coupé. En un seul coup, il était là, agenouillé dans sa mare rouge, appelant à l’aide comme la canaille qu’il est. Mère arrive. Elle me frappe directement à la figure pour me punir. Je me sens idiote de me faire frapper par elle. Je me dirige alors vers la salle de bains, je veux tenter quelque chose. Chose qu’on pourrait regretter de ce « Canine », même si celui-ci est diablement bien maîtrisé dans son contexte scénaristique, c’est le peu de symbolique qu’insuffle le réalisateur à son oeuvre. Cela donne un objet cinématographique plat car il est en manque constamment de détails qui pourraient offrir une aura savoureuse. Il y manque, aussi, des scènes fortes. Des scènes infligeant une pure secousse à notre mental, dingue et rigoureuse, quelque chose qui pourrait nous pousser à bout. Jour 3. Des poissons sont arrivés dans la piscine. Toute petite, je voyais papa les mettre pour que nous le forcions ensuite à aller les pêcher. Aujourd’hui, ce comportement m’exaspère. J’aime mon père comme j’aime ma famille. Mais j’ai la douloureuse impression qu’on me cache des choses. J’ai donc laissée ma canine dans le lavabo. La scène finale est géniale de simplicité et de savoir-faire à l’écriture. Lanthimos est réellement un réalisateur hors-pair, qui peut offrir un travail d’orfèvre, autant qu’improbable que futé et intelligent. Une oeuvre dont on ressort déboussolés, et en même temps contents. Contents d’avoir pu observé un film de cette sorte et de cette couture. Proche dru choc.