Fait partie de ces films d'une rare âpreté, une mise en scène ("mise à l'air" ?) dont la chair (humaine) est ouverte, ce qui perturbe et dérange le confort du spectateur, agit directement sur son système nerveux ; dans un noir d'encre le sang bouillonne et bourdonne à nos oreilles ; expérience multisensorielle qui tache, inquiétante, poisseuse, abrasive, laisse extrêmement mal à l'aise. Aucune échappatoire. Bienvenue dans un monde qui a largué les amarres et dérive seul, dans l'univers, livré et exposé à "la méchanceté de l'Être", où chacun sait que "Dieu est mort". Tu peux crier, personne ne t'entendra ni ne viendra à ton secours. Et pourtant ça commence en plein jour. Malgré la rue jonchée de déchets, la pauvreté grouillante, c'est un jour heureux : le mariage devant le juge de deux jeunes étudiants désargentés. Un SMS, et la nuit tombe. Agitation différente, d'autres commerces, institutions, d'autres transactions, d'autres règles, contrats, cérémonies... Et là, sans comprendre comment on est arrivé là, on va descendre en enfer, traversée sans fin, expédition lente, en prise directe, au plus près, comme un boucher qui découpe sa viande au plus près de l'os. On prend directement le poul de l'horreur, voyage au coeur de la sauvagerie. Ce dont Nietzsche nous a prévenu il y a plus d'un siècle sous le nom de "Nihilisme Européen" est à présent planétaire, mondial. Et comme Peping à l'arrière du van, on se demande interminablement et horrifié jusqu'où on peut encore aller, si l'on est pas le dernier Être Humain, si son voisin l'air de rien, et le reste du monde ne sont pas tous devenus définitivement fous et inconscients... Lire les critiques épouvantées du spectateur occidental qui a été violenté, déçu, étant venu se divertir bêtement, confortablement, avec un film exotique de plus, prémaché, simpliste, après ou avant un fast food du samedi soir dans le quartier des Halles actuel, est une des sensations supplémentaires qu'apporte ce film majeur