Pour le régime islamique iranien, la musique est impure puisqu’elle procure gaieté et joie. Alors, quand il s’agit de monter un groupe d’indie rock, on imagine bien toutes les difficultés auxquelles les apprentis musiciens peuvent être confrontés. D’ailleurs, au début du film, Negar et Ashkan sortent de prison, et la plupart des musiciens qu’ils rencontrent ont eu maille à partir avec les nombreuses polices du régime.
Du coup, la musique se joue dans les caves, sur les toits, dans les étables ou les immeubles en construction, et la formidable énergie doublée d’une envie de liberté que dégagent ces musiciens s’oppose au carcan des autorisations délivrées au compte-goutte en vertu de règlements absurdes, comme celui qui interdit une chanteuse soliste mais autorise trois choristes. On comprend mieux pourquoi le livre de chevet de Négar est La Métamorphose…
Bahman Ghobadi nous permet de découvrir un des aspects du bouillonnement de la vie culturelle underground à Téhéran, celui de ces nombreux groupes qui se développent dans tous les styles : hard rock, blues, rap ou world music. Mais il aborde aussi une question qui le travaille depuis deux ans, et l’échec de son précédent projet, « 60 seconds about us » : la problématique de savoir s’il est encore possible de créer en Iran, et donc la question de l’exil.
Après les premières années du régime des mollahs où n’étaient autorisés que des films de propagande, le système de la censure s’est sophistiqué en imposant un code islamique interdisant de montrer une femme non voilée ou maquillée, des contacts physiques entre hommes et femmes ou des personnages portant une cravate. Progressivement, les cinéastes ont réussi à contourner ce code, et dans des films comme "Hors Jeu" de Jafar Panahi ou "A propos d’Elly" d’Asghar Fahradi, les personnages, et notamment les personnages féminins, montraient une liberté de comportement bien éloignée du dogme religieux.
Le pouvoir a manifesté alors une certaine ambigüité, autorisant ces films à aller récolter les prix dans les grands festivals, mais limitant leur sortie à quelques salles en Iran. Afin de ne plus avoir à finasser avec la censure, et parce qu’il savait que ce serait son dernier film iranien, Bahman Ghobadi a choisi de tourner "Les Chats persans" dans la clandestinité, jouant à cache-cache avec la police comme les héros de son film.
Tourné en numérique et sans éclairage, son film présente une forme éclatée, entre documentaire, fiction et clip, commençant dans une tonalité réaliste prononcée pour se finir dans une dramatisation symbolisée par un dernier plan de Negar, filmée pour la première fois tête nue, comme une annonce de ce qu'il pourra filmer en exil.
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