Ce que nous, occidentaux, retenons de la seconde guerre mondiale, est par dessus tout la Shoah. Et c'est une bonne chose que cet honteux épisode soit au centre des arts et du cinéma: plus longtemps son souvenir sera conservé, plus le risque qu'il se reproduise sera faible. Néanmoins, à force de trop nous focaliser sur l'Holocauste, on a tendance à oublier qu'à l'autre bout de la terre, en Chine, a eu lieu un massacre presque aussi monstrueux, provoqué lui aussi par une idéologie raciste et haineuse. Un nom en particulier est associé à celui du massacre des Chinois par les Japonais: Nankin, ville où où l'armée nippone s'est livré à des massacres (200.000 tués) et viols (plusieurs dizaine de milliers de femmes) effroyables. C'est bien que, de temps en temps, un film comme celui-là sorte. Et c'est d'autant plus important que le gouvernement japonais ne reconnaît toujours pas officiellement les crimes dont son pays a été responsable. Bref, voici ce qui semble être le meilleur film sur le sujet, réalisé en Chine, et extrêmement controversé dans ce pays en même temps que dans mon esprit. Je vais tacher d'expliquer tout d'abord ce qui m'a déplu. Le réalisateur a eu pour but de montrer les Japonais de manière humaine (ce qui a provoqué un scandale en Chine), en suivant l'un d'entre eux tout au long du film, afin que le spectateur soit témoin de son état d'esprit, son ressenti et ses doutes. Ce parti pris humaniste est bien entendu fort louable; néanmoins, le réalisateur semble oublier quelque chose: les Japonais ont commi leur massacre au nom d'une idéologie raciste, d'une doctrine ultranationaliste et haineuse. Voilà ce qui manque au film: l'idéologie des Japonais n'est presque pas explicitée. Les Japonais prenaient les Chinois pour des sous-hommes parce qu'ils ne s'étaient pas suicidés après leur défaite, ce qui a expliqué ces incalculables massacres et viols. Ils prenaient les Chinois pour des ver de terre, des moins que rien, et cela n'est pas assez montré: les Japonais étaient mûs par une idéologie qui aliénait leur personnalité et les transfiguraient en bêtes sauvages. Voilà mon principal reproche: après avoir vu le film, on se dit "la guerre, c'est cruel quand même", alors que ce qui était inhumain par dessus tout, c'était l'idéologie impériale japonaise. Cette idéologie de violence est beaucoup mieux montrée dans Ip Man (excellent film soit dit au passage). Puisque j'en suis aux critiques, signalons la musique, très peu audible et émouvante. Maintenant, passons à ce qu'il y a de positif, car il y en a, et même beaucoup. Les scènes de violences sont marquantes, certaines sont même choquantes (viols, Chinois enterrés vivants, enfant balancé par la fenêtre...) et convaincront n'importe qui que Nankin est une ville à résonnance aussi tragique que Varsovie. Ensuite, le réalisateur adopte le choix judicieux de nous faire suivre l'épisode du point de vue de plusieurs personnages: un soldat japonais et une famille chinoise notamment. Le spectateur s'attache totalement à ces personnages, et la diversité des points de vues permet la variété des émotions: l'histoire de ce soldat japonais horrifié par les massacres devient vite très poignante. La vie de cette famille chinoise, menacée par les massacres et les viols, est captivante et touchante. Mis à part la carence sur l'idéologie japonaise, le film parvient à immerger le spectateur dans l'ambiance nankinoise sous l'occupation japonaise: une ambiance sombre, tragique et terrifiante. Le style asiatique du film a ses défauts comme ses qualités; d'un côté, la relative rareté des dialogues empêche une immersion psychologique totale; de l'autre, la lenteur et la beauté des plans permet à l'émotion de monter en flèche, et d'attendre un sommet étonnant lors de certaines scènes, je pense notamment à la scène "d'échange", et à la scène finale, mémorable. On pourra toujours reprocher au film son début assez inutile, ainsi que la relative discrétion du personnage de John Rabe et de son périmètre de sécurité, qui ont quand même sauvé quelque 250.000 Chinois. Il y a certainement beaucoup plus à dire à propos de ce film, mais j'ai l'impression de n'en avoir compris qu'une partie, c'est un film à revoir plusieurs fois pour l'apprécier dans toute sa richesse. Et dont l'importance est d'autant plus cruciale que le gouvernement japonais...a refusé qu'il paraisse au Japon! L'Allemagne n'a pas censuré le Pianiste il me semble! Bref, un film inégal, mais marquant, perfectible mais très émouvant. à voir!