Somewhere
Un film de Sofia Coppola
Pour son quatrième long-métrage, Sofia Coppola s’est intéressée au destin d’un acteur désœuvré, qui subit son existence avec une inertie phénoménale. Elle nous livre un résultat en demi teinte, oscillant quelque part entre profondeur insondable et vacuité absolue.
Cette dernière phrase pourra sembler un peu sévère, mais c’est bel et bien la meilleure manière de résumer le film, car c’est ce que le spectateur ressentira à la vision de Somewhere. Le film est à la fois pétri de bonnes intentions et plein de petites trouvailles, et creux à un point tel que son déroulement se confond parfois avec la non-existence de son personnage principal. A travers son film peut-être le plus personnel, la réalisatrice emmène son public au cœur d’une ballade hésitante, au rythme de l’apathie et des rares réveils de Johnny Marco, un être comme elle les affectionne particulièrement. Un être qui trimballe son vague à l’âme jour après jour, semaine après semaine.
Johnny Marco est un acteur dont le statut n’atteint pas les hautes sphères hollywoodiennes, mais dont les succès raisonnables au box-office permettent de mener un train de vie confortable, sans réel souci du lendemain. Le train de vie est certes confortable, il n’empêche que les premières images sont révélatrices du vide qui l’habite. Une piste de circuit privée, sur laquelle une voiture de sport fait des tours, inlassablement, pour toujours revenir au même point. Pas de concurrents, juste des tours répétés les uns après les autres. Nous n’avons pas besoin de chronomètre pour comprendre qu’ils sont effectués au même rythme, que les virages sont tous négociés de la même manière, et qu’au final, rien de tout cela n’a réellement d’importance, puisqu’il s’agit de passer le temps, et rien d’autre. Voilà les premières images du film, qui pourraient presque à elles seules résumer tout le film. Fascinant, on se demande alors où on a bien pu mettre les pieds.
Il faut passer le temps, le meubler, faire en sorte qu’il s’écoule avec fluidité, sans à-coups, et en évitant si possible les temps morts. Dans sa suite du mythique hôtel Château Marmont, Johnny Marco tente de passer au travers du temps, de manière insignifiante. Individu désabusé, qui n’en finit pas de s’ennuyer, le comédien erre dehors, à l’intérieur, tout au long de la journée. C’est la raison pour laquelle il meuble sa vie d’instants éphémères, futiles, pas désagréables, mais pas vraiment agréables non plus. Sa manière de passer le temps ne répond à aucune logique particulière, les événements peuplant ses journées semblant aléatoires. Lorsque Johnny reçoit la visite de sa fille, Cleo, les choses vont peu à peu changer, le cours de son existence donnant l’impression de dévier.
Le père qui sommeille en Johnny se réveille peu à peu au contact de sa fille. Il est alors intéressant de devenir les témoins de son évolution, alors qu’il se voit contraint à passer plus de temps avec Cleo, que sa mère a laissée en plan. Sa fille lui ouvrira de nouveaux horizons, il en a bien conscience. Elle ne lui fournira peut-être pas une raison de vivre, mais elle lui donnera au moins l’impression d’être vivant, une chose qu’il ne ressentait plus depuis longtemps.
Filmé un peu à la manière d’un documentaire (la technique est basique, les images ne cherchent pas à impressionner), Somewhere s’immerge au plus profond de ses personnages. Sofia Coppola a cherché à traduire un certain immobilisme, à exprimer l’état contemplatif d’un individu que l’on croyait au départ sans attaches. La réalisatrice est passée maître dans cet art délicat (il suffit de se rappeler le personnage brillamment interprété par Bill Murray dans Lost in translation), où comment magnifier le vague à l’âme d’êtres ne souffrant pas de névroses apparentes. De plaisantes rencontres viennent agrémenter le voyage, que ce soit l’acteur français Aurélien Wiik, ou encore le comédien Benicio del Toro. Peut-être afin de réveiller une léthargie envahissante ?
Sofia Coppola a choisi de clore le film d’une manière un peu brutale, qui laissera un souvenir mitigé. On ne sait si cette fin répond à un choix, celui -peut-être trop évident- de la solution de facilité, ou si elle marque un changement, une réelle ouverture dans l’existence à venir de Johnny Marco. Peut-être une renaissance, qui ne fait que renforcer l’impression de vacuité de ce qui a précédé…