Ouvrez la portière, glissez les clés, et allumez le moteur.
Tout commence par ce long plan fixe, où à l'intérieur du cadre apparait de temps à autres une voiture, qui tourne en rond, dans un espace qui respire la solitude. Curieuse manière de démarrer un film, que de livrer une séquence aussi particulière et aussi redondante. Mais celle-ci représente véritablement l'esprit du long-métrage, et se dévoile de plus en plus compréhensible à mesure que les minutes avancent.
Johnny Marco, l'homme derrière le volant, n'est autre qu'un acteur à succès du grand Hollywood. Résidant d'un hôtel de luxe, nous avons le privilège de suivre son quotidien, lui qui passe de distraction en distraction, au milieu de cet océan de facilités. Fait étonnant, il faut attendre plusieurs minutes avant de le voir prononcer le moindre mot. Est-il muet ? Non. Est-il vide ? Oui. Car toute l'oeuvre du film se base sur une étude de la condition de la star, ou du moins de certaines d'entre elles. Les masques tombent, l'homme est mis au premier plan, délaissant l'image, et on se mettrait presque à le plaindre.
Ce que nous représente Sofia Coppola avec Somewhere, c'est l'ennui au sens le plus profond du terme. Caractérisé par des plans qui dépassent les normes habituelles dans leur longueur, la sensation de lenteur s'accentue par cette répétitivité des actions et ces musiques quasi-contemplatives, qui nous embarquent dans ce tournoiement incessant. Fade, c'est le mot qui détermine au mieux ce personnage. Poli, inexpressif, il se laisse glisser à travers la vie, en laissant les autres le guider. Il va où on lui dit d'aller, il fait ce qu'on lui dit de faire, et le voyage à Milan illustre par ailleurs à la perfection cette idée. Le sexe devient un exutoire éphémère, dépourvu de toute passion. L'argent lui offre l'accès à tout ce qu'il souhaite, c'est à dire à pas grand chose. Et la gloire n'est que source de problèmes et de responsabilités.
Heureusement, il a une fille de onze ans, Cleo, seul petit rayon de soleil de sa vie si morose, qu'il ne voit que sporadiquement, puisqu'elle vit avec son ex-femme. Mais lors du départ de cette dernière pour quelques semaines, il se retrouve contraint de l'héberger. Leur relation est ambigüe, s'ils semblent s'entendre et partager des choses, ce n'est que façade. Entre deux textos et deux aventures, il essaie de s'occuper d'elle, tombant toujours dans la facilité. Elle ne semble pas le lui reprocher, c'est la fille modèle par excellence, elle sait tout faire, elle peut tout faire, elle doit tout faire, et elle garde le sourire. On retrouve pour l'interpréter la sublime Elle Fanning, qui m'avait déjà éblouie dans Super 8. Elle apporte cette touche de douceur et ce sourire si particulier, qui en deviennent vitaux, pour ne pas sombrer avec Johnny dans une dépression totale. Longtemps amorphes, ces deux personnages finissent par craquer, l'un après l'autre, dévoilant leurs peines et leurs faiblesses. Qui sont-ils réellement, ils se le demandent eux-mêmes, et nous ne le saurons jamais véritablement, le pessimisme prenant le dessus.
Le rôle de la voiture est d'ailleurs très symbolique. Cette ferrari, métaphore de la richesse, définie à elle toute seule la portée de cette histoire. Elle représente la liberté pour sa fonction, mais dans le film elle se dévoile plus comme une cage, un enfermement dans la boucle interminable de la vie, synonyme d'ennui chronique pour Johnny. Dans ce cas-là, ne vaut-il pas mieux descendre et continuer à pied, afin d'abandonner cette prison et retrouver un semblant de simplicité ? ...
Somewhere ne va nulle part, et ne parle de personne. Ce n'est qu'un tableau, peint par Sofia Coppola et donc très subjectif. Mais il n'en reste pas moins intéressant, et la touche artistique s'avère plaisante, que ce soit sur le travail visuel ou sonore. La scène de patinage est d'ailleurs un passage très marquant, comme une sorte d'éloge saine à l'art en lui-même, imagée par la pureté et l'élégance de la jeune fille. Des défauts, ce film en a, mais ils sont inhérents aux qualités, obligés de cohabiter les uns avec les autres. Ce qu'il raconte, nous ne sommes pas obligés d'y adhérer, c'est la manière de le raconter qui en devient touchante. La description prend le pas sur l'explication, avec beaucoup de justesse, et rend donc un voyage au bout de l'ennui plutôt agréable.