Cette adaptation du roman récompensé de l’écrivain indien Aravind Adiga, The white tiger, se donne d’emblée l’ambition de montrer la « vérité de l’Inde », une vérité duelle entre lumière et ténèbres (light and darkness). L’oeuvre entend dresser un portrait réaliste et désabusé d’une Inde contemporaine tiraillée par ses contradictions : la survivance de la mentalité millénaire issue du système des castes dans l’Inde républicaine, le choc de la société traditionnelle et du modèle capitaliste, la coexistence de religions et superstitions diverses. Mais, plutôt que de se livrer à une vaste fresque aux multiples personnages, elle le fait en suivant le seul destin et le point de vue d’un jeune homme appelé Balram, remarquablement interprété par l’acteur (jusque-là inconnu mais très bien trouvé) Adarsh Gourav.
Issu d’un milieu modeste et très humble, il parvient à se faire embaucher comme chauffeur. La scène centrale de l’oeuvre et son point de bascule, présentée dès le prologue, est un accident de voiture qui renverse un enfant, alors que Balram est assis à l’arrière du véhicule, sa maîtresse américaine ayant décidé de prendre le volant en état d’ébriété. Il convainc alors ses maîtres de prendre la fuite, sans aucune mauvaise conscience. Ensuite, il se voit contraint d’assumer la responsabilité de l’homicide, qu’il accepte en raison de sa servitude volontaire (dont parlait le jeune LaBoétie pour dénoncer, à une autre époque, les méfaits de la monarchie). Cela enclenchera chez lui une prise de conscience et un sentiment de révolte contre les injustices sociales. Mais loin d’être un héros modélique dont raffole le grand cinéma de Bollywood, il n’est pas exempt d’immoralité et de bassesse.
Netflix s’en est remis au réalisateur américano-iranien Ramin Bahrani (grand prix du festival de Deauville pour 99 homes) qui s’est acquitté d’une tâche assez ardue avec beaucoup d’application et de sobriété. Il est parvenu à trouver une intensité qui fait parfois défaut aux adaptations de romans, dont le rythme est souvent trop lent pour le cinéma. En revanche, il a un peu peiné à octroyer de l’émotion à une oeuvre essentiellement intellectuelle, qui impressionne surtout par l’acuité de sa réflexion sur l’Inde, très caractéristique de l’intelligentsia indienne (Pavan Darma par exemple) dans sa lucidité auto-critique d’une ironie un peu acerbe. Cela ne correspond pas au tendre (et charmant) idéalisme qui prévaut à Bollywood, mais on pouvait rencontrer cela chez le plus grand réalisateur indien du XXème siècle, Satyajit Ray.