Skyfall est un film de fin de vie qui s’ouvre par un accident et se referme sur la mention des cendres de M ; le choix d’un pont et de toits pour ces deux scènes offrent au long métrage un cadre aérien entre-temps impossible, nos personnages étant cantonnés à des espaces situés en sous-sol – métro, égouts, caves, souterrains… – ou à la marge – l’île abandonnée, les bureaux déserts, la campagne écossaise – qui symbolisent à merveille l’état précaire des agents doubles au regard des institutions anglaises et, plus précisément, l’état d’une génération de l’espionnage en plein déclin. Le film tire son énergie principale de la lutte menée par James et M contre un crépuscule qui menace de les faire disparaître ; aussi leur ennemi déclaré est-il l’ombre – « nos ennemis se cachent dans l’ombre, c’est là que nous devons nous battre », affirme M à peine exfiltrée – qu’incarne Silva, individu trouble qui raccorde les agents à leurs faiblesses et à leur appartenance à une famille. Nul hasard, par conséquent, si le plan inaugural extrait Bond de l’obscurité d’un couloir pour paraître éclairé à la faible lueur d’un rayon lumineux ; de même, un plan plonge 007 et sa supérieure dans le brouillard d’une lande écossaise, leurs têtes se couvrent d’un voile blanc qui les engloutit. La superbe photographie que signe Roger Deakins traduit à l’image cette thématique de l’effacement, relayée par nombre de joutes verbales mémorables, tout à la fois savoureuses et tragiques en ce qu’elles rappellent l’obsolescence des agents et la nécessité de leur renouvellement. La disparition première de Bond ressemble à un « plan de retraite » et donne lieu à une rubrique nécrologique, les tests sportifs et psychologiques doivent être truqués pour renvoyer celui-ci en mission ; espionner devient un « sport de jeune » mobilisant moult gadgets et une technologie complexe ; les balles, si elles blessent les corps, blessent aussi l’amour-propre. Tout le monde répète que 007 a « perdu la main » et qu’il constitue l’archaïsme d’une époque révolue ; pour autant, Sam Mendes a l’intelligence de contrebalancer ce diagnostic par l’utilité publique de nos personnages et par l’humanité qu’ils dégagent. C’est dans leurs failles qu’ils touchent au sublime ; pensons à ce que Victor Hugo écrivait en parlant des hommes dans le poème « Halte en marchant » des Contemplations : « […] ce qu’ils ont de plus beau, c’est leur chute ». Skyfall est une immense réussite, l’un des meilleurs volets de la saga, une élégie truffée d’humour qui mobilise une matière tragique fort pertinente.