Sam Mendes pour tourner un Bond ? Il fallait bien quelque-chose de ce goût là pour me redonner envie d'aller voir l'agent double zéro en mission, surtout après le désastreux "Quantum of Solace" ! Mais bon – je ne vous le cacherai pas – un mariage aussi étonnant peut très rapidement se révéler à double tranchant. L’introduction de ce "Skyfall" se suffit déjà à elle toute seule pour le démontrer. Très classique, pour ne pas dire banale, Mendes semble y caser là le minimum syndical de castagneries que la saga bondienne lui impose. Après le générique par contre, c'est un autre film qui commence (un générique qui dépote d'ailleurs : encore une perle à associer à la saga). Or, c'est à partir de là que l'aspect « à double tranchant » de l'association Bond/Mendes s'est faite le plus ressentir selon moi. Autant d'un côté je n'ai pu que me réjouir de voir un film qui ose enfin aborder le personnage avec un nouvel angle d'approche, autant d'un autre côté j'ai eu le désagréable sentiment que Mendes n'allait pas suffisamment au bout de sa démarche et fuyait parfois le sujet. Pour en dire plus s'en en dire trop, je dirais juste que le gros point fort de Mendes est d'avoir su percevoir la croisée des chemins, aussi bien au niveau de son personnage que de son époque. James Bond a 50 ans : il a été créé à l’époque d'un Royaume-Uni encore flamboyant et influent. Aujourd'hui, de la même manière que le Royaume-Uni est rentré dans le rang des puissances moyennes, et que le contexte de la Guerre froide n'est plus, le personnage de James Bond est requestionné dans "Skyfall", aussi bien en tant que personnage fictionnel qu'en tant qu'icône de « sauveur du monde ». Ce questionnement, personnellement, je l'ai trouvé très pertinent. Or, quand un film d'action parvient à porter un regard aussi judicieux sur son genre et sur son époque, moi j’applaudie et surtout je me régale... Après un tel discours, vous pourriez alors vous demander quel est le revers de la médaille annoncé il y a de cela quelques lignes ? le revers, à mon sens, vient du fait qu'en se réappropriant ainsi James Bond, Mendes a fini par en renier l'identité et l'univers. Car oui, autant j’aime quand un auteur se réinvestit un personnage pour lui donner sa lecture propre (preuve en est : je suis un gros adorateur des Batman de Nolan), autant j'estime que l'exercice de relecture implique qu'on ne touche pas aux gènes fondamentaux de la saga. Or, à mon sens, un James Bond, c'est un film qui est sensé nous garantir un minimum d'action, une certaine forme d'exotisme et, bien sûr, une petite dose de « Bigger Than Life »… Ce que je reproche à Mendes c’est que, durant sa première moitié de son film, il parvient à respecter ce patrimoine fondamental, offrant d'ailleurs de nombreuses promesses, pour au final progressivement l'abandonner au profit d'une logique d'introspection du personnage bondien, clairement inspirée d'ailleurs de ce que Nolan a fait concernant Batman. Le souci, c'est qu'à la différence de Nolan, Mendes va jusqu'à pondre un final qui, bien qu'il soit totalement cohérent avec sa démarche d'introspection, se pose par contre en totale contradiction avec l’identité profonde de la saga. Or, là, moi ça me pose un problème. D'une part, je me suis un peu senti floué : j'étais allé voir un Bond et au final, c'est pas ce qu'on m’offre. Certes, j'ai eu le droit à un film qui se tient et qui fait passer un bon moment, mais j'ai quand même l’impression qu'on m’a trompé sur la marchandise. D'ailleurs, d'autre part, ce "Skyfall" m'a aussi posé problème parce qu'au final, à vouloir faire du Bond sans vraiment faire du Bond, le film accumule les incohérences ou les maladresses : l'exploration finale qui est faite du personnage, notamment via son passé, appauvrit et simplifie le personnage au lieu au contraire de le rendre plus subtil ; de même le film s'emmêle les pinceaux dans sa logique de « suite/prequel », notamment pour ce qui est de Judy Dench et du personnage qu'est sensé incarner Naomie Harris ; enfin, par son choix de fin minimaliste, le film s'est finalement focalisé sur le personnage éponyme en molestant totalement son univers. D'ailleurs, la grande victime de ce final, c’est sûrement le personnage de grand méchant campé par Javier Bardem. Impérial durant la première moitié, et ouvrant une multitude de pistes sur notre perception du monde d'aujourd'hui (dématérialisation ; perte d'identité dans un monde globalisé ; terrorisme), tout s'évente dans cette seconde moitié qui finalement semble avoir oublié ce qui avait amorcé auparavant. Alors, vous l'aurez compris après un si long discours, il m'a laissé dubitatif ce "Skyfall" car au final il se révèle inégal, parfois incohérent et en fin de compte même irrespectueux à l'égard de la saga dont il se fait le continuateur. Malgré tout, ne vous y trompez pas : si j'ai attribué à ce film trois étoiles, c'est qu'il possède aussi de nombreuses qualités – dont l’audace ! – qui fait qu'au final il mérite clairement son détour...