Un reporter, Philippe Guérande (joué par Edouard Mathé), mène une enquête sur des malfaiteurs qui arrivent toujours à s’en sortir. Ces malfrats font partie d’une organisation surnommée Les Vampires, dont l’une des membres est Irma Vep, interprétée par Musidora, qui a joué à ce moment-là le rôle majeur de sa carrière. Ces criminels ayant adoptés comme pseudo Les Vampires utilisent des déguisements très sombres, cependant, leur représentante Irma Vep de distingue avec son look certes similaire aux autres, mais sa performance très énergique se ressent fortement, de plus, son écriture et son développement sont excellents et permettent de marquer un contraste entre notre reporter-enquêteur, avec son air très sérieux, et l’exubérance d’Irma.
L’intrigue et la morale du film sont très intéressantes et ça ne ressemble pas vraiment à un Disney : Feuillade explique que pour atteindre un objectif (quel qu’il soit, comme ici résoudre une enquête ou commettre des crimes), le méchant et le gentil peuvent parfois user des mêmes vices, nuançant ainsi la notion du bien et du mal, c’est quelque chose de remarquable et tellement réaliste ! La narration linéaire est présentée du point de vue de notre journaliste dans les premiers chapitres, et plus on avancera dans le visionnage des autres chapitres, plus Feuillade s’intéressera aux préparations et aux crimes des malfrats, on voit ainsi leur quotidien comme si on était avec eux. Je vous ai parler du « héros » Philippe Guérande, mais il ne faut pas oublier celui de Oscar-Cloud Mazamette, joué par Marcel Lévesque, et nos deux charmants compagnons se montrent très différents et permettent l’un et l’autre de se développer mutuellement, ils représentent bien deux archétypes, car Philippe Guérande est un homme droit, ayant une grande prestance et une carrure très convenable il faut le dire, et se montre très sûr de lui, très réfléchi et expérimenté, il est affiché comme quelqu’un de bon, et tout ceci montre du coup un aspect presque trop beau, et on ajoutera que Guérande est valorisé par son acolyte Mazamette qui est maladroit, a des soucis familiaux et dans le travail; Mazamette représente une classe sociale inférieure à celle de Guérande.
Les décors du long-métrage installent parfaitement l’ambiance et participent aux enquêtes de Philippe Guérande et aux aventures de nos criminels, qui se baladent de toit en toit à Paris. On sent que la ville n’est pas sûre, tout le monde est méfiant et est conscient que des vols et des meurtres peuvent avoir lieu à tout moment, un peu comme dans une autre ville de fiction cette fois-ci, Gotham City de l’univers Batman, l’inspiration du créateur de l’homme-souris me parait du coup plus claire, mais je me trompe, peut-être, ou pas car les tenues rappellent celles de Bruce Wayne et Catwoman (Irma Vep et Catwoman incarnent toutes les deux l’image de la femme fatale). Ce personnage d’Irma Vep arrive à fasciner et même s’il s’agit d’un membre important d’une organisation criminelle, on peut s’attacher à son caractère et sa gestuelle, c’était très intéressant de la part de Louis Feuillade d’avoir rendu un personnage comme celui-ci sombre et fortement bien écrit, cette belle femme use de son charme pour avoir ce qu’elle veut (petit message délivré par Feuillade, je pense). Le personnage de Philippe Guérande que joue Edouard Mathé rappelle un peu Tintin, mais il parait effacé au niveau acting par rapport à Musidora. Louis Feuillade arrive à amener un rythme de fou dans Les Vampires, car il a créé l’un des premiers grands films de suspens, en mélangeant des discours moraux très profonds, des décors et un visuel marquant qui font le charme du support (notamment le maquillage d’Irma), quelques indices parsemés à droite à gauche qui donnent envie au spectateur de suivre toutes les péripéties de l’histoire, avec ce mixage entre fantastique et réalité, tout cela sur un laps de temps extrêmement long, montrant que Feuillade savait construire et monter son œuvre magistralement, il sera un pionnier du genre policier, et pas que. Cependant, Les Vampires n’est pas parfait dans son scénario, des incohérences parfois très grosses peuvent être descellées. Cela n’empêche pas la grande maîtrise dans la réalisation. En revanche, si la réalisation est réussie, la direction des acteurs est un peu loufoque, un peu libre, on sent quelques fois que les acteurs ne savent pas trop ou se placer, beaucoup ne devaient pas être comédien à la base et ça se sent. Mais, sachez aussi une chose : le contexte fut spécial car le film est sorti pendant la 1ère Guerre Mondiale, certains acteurs firent donc une apparition très brève pour aller combattre au front, d’où la nécessité d’aller chercher des comédiens souvent.
L’un des avantages dans la construction de chaque chapitre, c’est qu’ils comportent plusieurs actes chacun, on peut regarder chaque épisode indépendamment, sans être désorienté par l’intrigue dans la durée. Personnellement, j’ai vu le film sur plusieurs jours, et j’ai réussi à suivre sans problème, même si le délire parait parfois exagéré dans l’ensemble, mais ça donne un style bien identitaire au film de Louis Feuillade. Il n’était peut-être pas un grand scénariste, mais il savait envoyer du pâté visuellement, comme Michael Bay. Ce procédé de division en plusieurs parties sera repris par le même réalisateur dans Judex.
Cette œuvre française a clairement pour but d’être un divertissement, en plus de faire réfléchir le spectateur, la promesse de Louis Feuillade est donc tenue.