Au démarrage, l'accent québécois peut créer un léger décalage, voir nuire à la crédibilité. C'est vrai, les expressions et insultes made in Québec, par chez nous, c'est plutôt un objet de plaisanterie, alors dans un film à suspense, vous imaginez... Mais ici, très vite, on est plongé dedans, et une fois habitué, cela accentue sans aucun doute le charme et l'originalité de l'ensemble. Le propos de départ est assez banal pourtant, mais fort bien exploité par la suite pour en faire quelque chose de plutôt inattendu. Un jeune homme lambda frappe par hasard à la porte d'une petite maison de banlieue comme il en existe des millions à travers le Globe, et bascule violemment dans une situation des plus extrêmes : être enfermé sans raison par des inconnus, parqué dans une chambre-prison sans savoir ce qu'il va nous arriver, ni combien de temps cela va durer... Un huis-clos en somme, comme Mère Cinéma en a nourrit des dizaines et des dizaines en son sein. A titre personnel, c'est d'ailleurs un de mes genres de prédilections, bourré de charmes, car le huis-clos exige un combat mental, psychique, fait de malice, d'intimidations et de persuasions pour l'emporter. Une lutte où les armes et les muscles ne servent à rien.
C'est Marc-André Grondin, déjà remarqué (et remarquable) dans C.R.A.Z.Y., un autre très bon film québécois, qui tient le rôle du captif. Au fur et à mesure de sa détention au cœur de cette curieuse famille comme on aimerait pas en rencontrer, le réalisateur nous plonge dans les méandres de son esprit. On assiste à ses délires, ses pétages de plombs, ses espoirs, ses épreuves, sa névrose grandissante au fil des jours, comme à travers ses yeux. Tout cela notamment grâce aux sublimes métaphores à la limite du fantastique et autres figures de styles visuelles qui nous sont distillées, et qui ajoute un charme indéniable à l'ensemble. Face à lui, c'est Normand D'Amour qui incarne son geôlier. Inflexible et déterminé, il fait penser à un mélange entre les « méchants » du « Martyrs » de Pascal Laugier, et un certain Dexter. Habité par une mission qu'il compte mener à son terme coûte que coûte, il campe avec force un personnage manichéen à la philosophie extrême, rongé par les paradoxes de ses convictions et de sa morale ambiguë. Ce patriarche autoritaire et le jeune homme qu'il emprisonne font belles figures parmis les rôles distribués ici, mais les autres ne sont pas laisser en reste. De l'adolescente insoumise qui cherche à s'affirmer, à la fillette au regard glacial et au silence si parlant, en passant par leur mère paumée et éprise de liberté, aucun d'eux n'est relégué au second plan. Incontestablement, le grand soin accordé aux mœurs et à l'évolution des protagonistes, à leurs caractères détaillés tout en subtilité, est l'arme majeure du « 5150 rue des ormes », et lui confère énormément d'intensité. Cette descente crescendo dans l'horreur ne se contente pas uniquement d'être distrayante et efficace, elle fait allusion à un rapport au père à la fois conflictuel et séducteur, à la remise en question de ses propres valeurs, le grand jeu de la vie étant allègrement (et génialement) comparé à une partie d'échec géante. Le tout sans arrogance, avec la grande modestie que l'on connait à nos cousins d'Amérique du Nord.
Outre des interprétations vives et sans faille, et un script intelligent ponctué d'échanges mémorables avec un accent et des expressions improbables chers à Céline et son « mââââri » René, le thriller d'Éric Tessier profite de la solide mise en scène de ce réalisateur au talent certain. Construite sur une ligne de sobriété et de maîtrise du cadre, elle est agrémentée d'un montage fluide, de mouvements de caméra par instant intéressants, et d'effets réussis, sans pour autant verser dans l'esbroufe. Les fondements de tout cela sont bons, et des codes du film de rapt sont souvent brisés pour en emprunté d'autres au cinéma d'épouvante. Parfois déroutant, plein de tension et jusqu'au boutiste, on aime ou aime pas, mais ce genre de film ne peut laisser complètement indifférent. Je sais qu'il comporte quelque slégères imperfections et qu'il manque d'un léger grain de folie par moment, mais ayant été vraiment conquis sans que cela ne se montre insupportable, je ne lui en tiendrai pas rigueur. Donc si vous avez un peu moins de 2 heures à perdre, n'hésitez pas à venir toquer au 5150 rue des ormes...
D'autres critiques, avec photos et anecdotes, disponibles sur mon blog cinéma http://soldatguignol.blogs.allocine.fr/ Merci !!