Simple et efficace, cette incursion dans le domaine du western obéit à la fois aux règles classiques du genre (morceaux de bravoures et clichés utilisés à bon escient) et à un certain naturalisme, plus proche de la réalité historique du quotidien des pionniers, alimentant un humour issu du décalage.
« True Grit » se pose ainsi en héritier d’un genre, le western américain post-spaghetti, qui s’écarte du mythe teinté de lyrisme cher au film de cow-boys. Des brûlots comme « Les portes du paradis» ou « Impitoyable » constituent de très bons exemples de cette mouvance. Mais contrairement à ce dernier qui, cynique jusqu’au bout, opère un décrassage total, le film des frères Coen se plait à conserver dans sa trame quelques touches d’héroïsme flamboyant. Cette volonté d’équilibrer vérité terre-à-terre et cliché tend plus à le rapprocher d’un « Appaloosa » : un film « omnivore », touche-à-tout, qui ne boude pas son plaisir en injectant de-ci de-là quelques poncifs qui ont fait la magie du western à papa (la charge héroïque du vieux briscard, la morsure de serpent à sonnettes…).
« Appaloosa » investissait surtout la veine réaliste dans la confrontation de l’homme à l’environnement sauvage (suscitant par là même un climat de lenteur, de concret très « terrien »), « True Grit », lui, mise plutôt sur l’ironie qui peut naître de la distance entre idéalisme (ce que la légende laisse à imaginer) et pragmatisme (la banalité du factuel).
La présentation de Cogburn constitue à elle toute seule une excellente synthèse du procédé : Après l’avoir choisi sur les conseils d’un shérif qui le décrit, en gros, comme un homme qui ne lâche jamais sa proie et n’a peur de rien, l’héroïne le déniche cloué sur les gogues du saloon, puis accusé, au détour d’un procès, d’avoir presque exterminé une famille de façon déloyale et sanguinaire.
Cogburn incarne dans toute son ambiguïté la vieille figure de l’ouest au passé trouble (ex-confédéré, pilleur de banques…), constamment à cheval entre légende et matérialisme brutal (rappelant fortement John Wayne dans certains de ses films : « La prisonnière du désert », « L’homme qui tua Liberty Valance » ou, bien sur, le « True Grit » de 1969).
Il doit son exceptionnelle longévité à une habitude bien rôdée de s’asseoir sur les règles de la bienséance : Moins on prend de risque, mieux ça vaut. Quand on traque des hors-la-loi en fuite, autant s’installer confortablement, bien à l’abri, comme pour « une chasse aux canards ».
Il est en même temps porteur d’un indéniable héroïsme le « true grit » qui l’amène parfois à accomplir des actes d’un grand courage (charger seul quatre malfrats ou accomplir une course folle pour sauver une jeune fille). Paradoxalement, ce dernier aspect peut être perçu lui aussi comme un gage de survie : Celui qui en réchappe est souvent celui qui à le plus de tripes et sait garder la tête froide dans l’adversité (on pense là aussi à « Impitoyable »).
Cogburn est en cela un « initié » de l’ouest sauvage, car il maîtrise les vraies règles de ce milieu.
Cette idée d’un « code commun » partagé par la faune bigarrée des étendues sauvages permet aux frères Coen de mettre en scène une ribambelle de personnages secondaires, à la fois truculents et intrigants, dont ils ont le secret : Trappeur/homme médecine blanc couvert d’une peau d’ours ou desperado imitateur d’animaux, chaque nouvelle apparition est source d’étonnement, d’une certaine forme de magie, et de cocasserie (mais parfois aussi de barbarie). Ces « tronches », qui pratiquent des activités déroutantes (trafic de cadavre…) dans un no man’s land hors du temps, se reconnaissent entre eux, liés par une expérience intime et secrète du milieu qui frôle l’ésotérisme. Il y a moins de distance, finalement, entre un marshal comme Cogburn et les bandits qu’ils pourchassent, qu’entre lui et ses compagnons de route.
Laboeuf le Texas Ranger, tout en éperons clinquants et en franges, représentant presque chevaleresque d’une loi qui n’a cours que dans les livres, sert de contrepoint comique à Cogburn. Son « innocence » lui vaut tous les ennuis du monde dans cette jungle, et le confine le plus souvent à un rôle de faire-valoir humoristique et attachant.
Le rôle de Mattie est plus ambigu, car elle partage avec Cogburn ce courage sans faille évoqué dans le titre, même si son rationalisme et son goût du langage tendraient à la rapprocher de Laboeuf. Mais la parole de Laboeuf, à l’instar du Pangloss de « Candide », semble de peu de portée : Il reste un texan fort en gueule et vantard, tout dans l’apparence.
Mattie, elle, semble incarner l’esprit de civilisation inflexible qui finira par mettre fin au monde des Cogburn, et le confiner dans les musées (celui-ci terminera d’ailleurs ses jours dans un « spectacle vivant » à la Buffalo Bill). Elle est la loi, la démocratie et la raison, mais a encore besoin d’un Cogburn au début du film, car sa parole ne vaut pas tripette dans la jungle que représente encore cette partie de l’Arkansas.
Leur couple improbable rappelle immanquablement celui de James Stewart et John Wayne dans « L’homme qui tua Liberty Valance », jusqu’au dernier voyage du « civilisé » venu rendre hommage à son ancien allié sur les ruines d’un monde disparu.