Conçu sur le thème de l’itinéraire (une jeune orpheline part à la recherche de l’assassin de son père à travers l’Ouest sauvage après avoir vendu ses biens et obtenu les services d’un marshall, un ranger se ralliant à sa cause), ce western à l’ancienne est parcouru d’un souffle romanesque que n’auraient pas désavoués Clint Eastwood et Anthony Mann. Remake d’un film avec John Wayne, 100 dollars pour un shérif (1969) de Henry Hathaway, True grit n’a conservé de l’original que son argument de base, le personnage central qu’incarnait Kim Darby faisant place ici à une fillette à peine sortie de l’enfance.
C’est avec un sang froid et une dextérité hors du commun que Mattie, remarquablement interprétée par Hallée Steinfeld, doit faire face à une bande de veules et de soudards aussi corrompus que sans foi ni loi dans cette Amérique qui se reconstruit peu à peu au lendemain de la guerre de Sécession. Nourrie d’un désir de justice plus que de vengeance, la fillette, réussissant par miracle à échapper à la mort, va ainsi accomplir un véritable parcours initiatique dont la brève durée, une dizaine de jours tout au plus, représente à elle seule l’aventure de toute une vie. Dotée de pouvoir car connaissant les individus et les lois, elle inspire le respect de par son assurance et sa fierté vis à vis de son pays, allant même jusqu’à incarner l’image de la femme dont tout un monde a besoin pour sa survie. Mattie dira même un jour ne s’être jamais mariée « n’ayant pas trouvé de temps pour ces frivolités ». Il faut voir comment, du haut de ses 14 ans, elle rallie à sa cause tout un monde d’hommes aussi obtus que brutaux et cyniques, et pour lesquels elle finit par représenter l’espoir de sortir d’une société encore à l’état sauvage, corrompue au dernier degré, entrouvrant une voie vers la civilisation.
Vestiges d’un ancien monde, les personnage de Rooster, le marshall, et du Texas ranger, incarnés par les magnifiques Jeff Bridges et Matt Damon - ce dernier pour une fois à contre-emploi - déambulent leurs silhouettes tout au long de cette balade désenchantée, parsemée d’éclairs de violence. On pense à Impitoyable (Unforgiven) bien sûr, mais aussi à Deux hommes dans l’Ouest (Wild rovers) de Blake Edwards, et au très beau et méconnu The stalking moon (L’homme sauvage) de Robert Mulligan. L’émotion suscitée par True grit provient en grande partie de la qualité d’écriture du scénario, de l’épaisseur des personnages, et de la qualité du jeu des acteurs (je n’oublie pas non plus la performance de Josh Brolin dans le rôle du méchant), ceux-ci réussissant à nous impliquer dans le combat de Mattie pour retrouver sa dignité, pour faire surgir un sursaut d’équité au travers de ce territoire aride, hostile, infesté de serpents.
Magnifiquement photographié par Roger Deakins, on n’avait pas vu depuis longtemps un cinémascope aussi bien utilisé, les frères Coen continuent d’explorer les maux de l’Amérique avec une maîtrise confondante de la mise en scène, de la narration cinématographique. Incontestablement ils figurent parmi les plus grands cinéastes du monde.
NB : Il est intéressant de remarquer que Bertrand Tavernier sur son blog de la SACD note que les deux versions sont très similaires et toutes deux très fidèles au beau roman de Charles Portis, sauf la fin chez Hathaway dans le cimetière enneigé qu’il juge plus impressionnante. Tout en vantant les grands mérites des deux films, il estime par ailleurs que Jeff Bridges est moins convaincant que John Wayne dans la première version, ce qui donne vraiment envie de revoir parallèlement le film de 1969.