Hormis le fait que "The Assassin" n'est pas un véritable film de sabre, comme certains auraient pu le croire et se retrouvent du même coup déçus, pourquoi le dernier long-métrage de Hou Hsiao-Hsien divise et déroute ? Le film ne pose en tout cas pas de problème par sa structure linéaire et par la simplicité de son enjeu principal, qui est le meurtre (ou pas) de Tian Ji'an par sa cousine Nie Yin-niang, une mission que lui a confiée la nonne Jia Xin. Construit comme un tableau, pas seulement sur le plan des cadrages mais dans son déroulement général, dans le sens où cette intrigue meurtrière se dessine au premier plan et qu'apparaissent progressivement à l'arrière-plan des sous-intrigues (l'une politique, l'autre familiale) - globalement compréhensibles en faisant un effort - qui influeront fortement la décision finale de la "dame en noir", le film raconte une histoire mais en n’exploitant aucun des codes narratifs traditionnels et fait moins saisir les motivations et les sentiments des personnages par des dialogues que par des gestes et des regards, qui disent l'angoisse du gouverneur de Weibo (Chang Chen) et la mélancolie de Nie Yin-niang (Shu Qi divine). Il faut être attentif à ce langage corporel pour se laisser porter par le film, envoûtant et fascinant, qui magnifie les corps en les inscrivant dans des paysages magistraux, souvent embrumés et inquiétants, et les compresse dans des décors intérieurs qui font régner la tension par la ruse et la magie noire, où "la dame en noir" ne fait que se cacher (dans un angle du plafond; derrière des rideaux) et apparaître sans jamais tuer. Pourtant, elle en a souvent l'occasion, dans tous les combats qu'elle exerce, que ce soit dans une forêt de bouleaux face à une combattante masquée ou sur un toit face à l'homme qu'elle aime, mais son bras toujours la retient : "Ta technique est irréprochable, mais ton âme reste prisonnière de tes sentiments », lui dira la nonne. Si cette explication semble juste, le film révèle aussi un effacement progressif d’un destin individuel au profit de l’intérêt général, qui tend vers le maintien de la paix dans un monde où la guerre est proche d’éclater. Le propos général est absolument passionnant et nous incite à revoir le film dans la foulée, d’abord pour mieux saisir les quelques détails qui échappent (précision autour de certains personnages, explication des symboles) et pour être happé par une lenteur sublime, celle qui fait la force des plus grands films de Kurosawa, brisée par des scènes de combats qui décomposent une esthétique du geste, hypnotique grâce à une caméra toujours en mouvement, qui prend le temps de filmer les regards, les corps, la Nature et les englobe tour à tour dans un calme apaisant et une douleur foudroyante. « The Assassin » est un film précieux qui nous met dans un état constant d’émerveillement, une expérience sensorielle unique à la beauté renversante et à coup sûr un des plus grands gestes de mise en scène de ces dernières années. Un film puissant, hanté, qui nous poursuivra longtemps.