Auréolé du prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes, le nouveau film de Hou Hsiao-hsien où il collabore encore une fois avec sa scénariste fétiche Chu Tien-wen pour cette fois-ci s'attaquer à un film d'époque. S'inspirant du genre wu-xia qui correspond souvent aux westerns à tendance film de capes et d'épées en Chine mais aussi de l'oeuvre de Shakespeare mais plus précisément à la manière d'Akira Kurosawa avec son Ran (adaptation japonaise du Roi Lear), le film marque un renouveau au sein de la carrière de son cinéaste. Habitué aux œuvres contemplatives, il était clair qu'il allait livrer une expérience hors norme qui ne ressemble à aucunes autres et qui risque de profondément surprendre, perturber et même diviser.
Le film signe sa particularité au sein même de son scénario qui fait le choix d'être déstructurer, abstrait et totalement opaque. Il est souvent difficile de s'y retrouver et de saisir tout les tenants et aboutissants de cette histoire. Il n'est pas rare d'ailleurs que le sens d'une scène ne puisse être compris que plusieurs séquences après celle-ci nous renvoyant sans cesse à ce que l'on a vu précédemment. On se retrouve à errer dans un labyrinthe ésotérique et diffus qui se révèle aussi très précis et exigeant pour le spectateur, l'oeuvre préférant miser sur les non-dits, la symbolique, les zones d'ombres et une narration elliptique. Prenant très vite les contours d'un polar nihiliste et mystique, l'écriture se montre d'une finesse imparable et offre beaucoup de passages fascinants arrivant à faire comprendre beaucoup par l'utilisation de peu de mots. Néanmoins une certaine tendance à l'élitisme et à la prose tant à devenir problématique surtout au début du film, où certains enjeux ou passifs des personnages sont un peu trop appuyés voire même répétés pour être pleinement saisi par le spectateur. Et même si le film tente l'abstraction durant ses passages, ils manquent quand même en subtilité et donne par moments une sensation de longueur et même de confusion.
Le casting se montre admirable, les acteurs misant avant tout sur des interprétations minimalistes pour faire passer les relations entre personnages de manière juste et gracieuse. On retiendra surtout la prestation intense de Shu Qi, l'actrice principale, qui apporte un aura mystérieux, tragique et gracile assez fascinant notamment dans sa manière très sensuelle de frapper l'écran. Chang Chen, le deuxième acteur principal et qui incarne l'ancien amant de l'héroïne, offre une performance plus énervée et vivante que les autres personnages et il s'y montre impeccable et fiévreux arrivant très bien à transmettre les doutes et les nuances de son rôle.
La réalisation est sublime, jouant avec habilité sur les différents formats de l'image, chacun apportant un sens spécifique aux scènes tandis que le tout est accompagné d'une photographie sublime magnifiant les décors somptueux et les plans, souvent soutenu par une musique tantôt énigmatique et oppressante tantôt épique et harmonieuse mais toujours gérée à la perfection. On déplorera juste un montage bancal dans sa radicalité, offrant un rythme bien trop lent qui tend à la pose artistique excessive et un peu lourde. Car oui la mise en scène de Hou Hsiao-hsien est formidable, souvent brillante et constamment virtuose, n'ayant clairement pas volé ses éloges et ses prix. Mais le cinéaste sait qu'il à du talent et ça se voit, se regardant beaucoup trop filmer par moments tombant dans l'esthétisation pour l'esthétisme pur et donc souvent gratuit. Cela à tendance à devenir agaçant par moments et tire certains passages en longueurs. Néanmoins on reste admiratif devant ce sens du détail sans faille qui reconstitue admirablement l'époque dépeinte par l'oeuvre, faisant souvent sens dans son sens du fatalisme et minimisant de manière habile les explosions de violences. Distillant les morceaux de bravoures avec parcimonie pour en faire des éclairs fugaces, superbement chorégraphiés et découpés pour maintenir une lisibilité constante malgré l'aspect très technique des combats.
En conclusion The Assassin est un bon film, et si il avait été plus humble, plus incisif et plus précis aurait pu certainement être un chef d'oeuvre du 7ème art. Dans ses meilleurs moments, on sent toute la puissance du cinéma dans des scènes hallucinantes et virtuoses qui dessine les contours d'un grand film. Néanmoins beaucoup trop de défauts sont là pour venir restreindre notre plaisir et nous laisser sur notre faim comme cette élitisme trop prononcé, ces longueurs trop envahissantes en raison d'un rythme lent et bien trop poseur qui tend beaucoup trop vers la pose artistique gratuite et tapageuse. Le scénario est un peu trop diffus mais possède vraiment une narration brillante soutenu par un très bon casting. Donc l'oeuvre de Hou Hsiao-Hsien à clairement ses fulgurances et nous fait globalement passé un grand moment même si elle laissera beaucoup de monde sur le carreau. Mais malgré sa réussite artistique et visuelle, elle n'est pas entièrement satisfaite, étant une expérience avant tout qui n'arrive pas à être aussi intellectuellement forte et saisissante qu'elle le voudrait. Un film qui est donc aussi admirable que frustrant.