Un long métrage surprenant et très maîtrisé, qui me fait penser à d'autres films uniques réalisés par d’immenses acteurs, tels que « L'Héritage des 500 000 », de Toshiro Mifune ou bien sûr « La Nuit du Chasseur » de Charles Laughton, marquants par leur originalité et leur grande qualité formelle.
« Dans la Nuit » est un long métrage parfaitement accompli, qui a eu une destinée tragique, car il s'agit probablement du dernier film muet français... sorti 2 ans après les débuts du parlant, ce qui fait qu'il a été complètement ignoré à l'époque... Et pourtant il regorge de qualités. On savait Charles Vanel excellent acteur, il l'est une fois de plus ici, rien de surprenant jusque-là, même si c'est toujours un plaisir renouvelé que de le revoir à l'écran.
Mais de surcroît, il se révèle un fin réalisateur ! Son film a d'un côté un aspect très sobre et presque documentaire sur les conditions de travail et de vie de mineurs, dans la région de Lyon, vers 1920-1930. De même, les émotions ne sont pas surjouées : l'actrice principale, Sandra Milowanoff et lui-même jouent de façon naturelle et fluide, ce qui fait que dans son ensemble, par sa réalisation et ses acteurs, ce film a un côté très réaliste et convaincant.
Cela appuie et même renforce d'autant plus l'autre grande dimension du film : son aspect inquiétant, sombre, voire horrifique. Le personnage principal, à la suite d'un très grave accident de travail, voit son visage à moitié défiguré. Il doit donc porter un masque couvrant en partie son visage, lui donnant un aspect froid et figé, presque inhumain. Sa femme, bien sûr, en est bouleversée... Lui qui était plein de vie et d'amour pour son épouse (magnifique scène de mariage, à la joie communicative), devient froid, renfermé, désagréable à la suite de ce tragique incident... Je n'en révèle pas plus sur l’intrigue.
J'ai eu la chance de voir ce film dans le cadre d'un magnifique ciné-concert, une expérience inoubliable. Je ne crois pas qu'il soit pour le moment édité en DVD, donc il est difficilement visible. Mais il commence à être de plus en plus mis en avant, il a été récemment restauré par l'Institut Lumière et différents mécènes, dont beaucoup sont lyonnais d’origine, et on comprend leur attachement à ce film. Nous aurons donc peut-être droit à une belle édition prochainement !
En attendant, si ce n'est pas un chef-d’œuvre du muet à la hauteur d'un « Metropolis » ou d'un « L'Aurore », « Dans la Nuit » est un grand et beau film intéressant, qui figure parmi les meilleurs films muets français, et qui mériterait d'être plus largement (re)connu à sa juste valeur.
Si à l’époque, la carrière de réalisateur de Charles Vanel a été stoppée net dans son élan par l’insuccès de ce film, nous privant probablement d’un grand cinéaste en devenir, nous pouvons aujourd’hui réparer en partie cette injustice en redécouvrant cette magnifique proposition de cinéma, qui démontre combien le muet fut une période de grande créativité... Et combien les acteurs et actrices disposent de formidables talents cachés, qui méritent d’être exprimés. Songeons par exemple à l’impressionnante carrière de réalisateur de Clint Eastwood ou à une grande actrice/réalisatrice récemment redécouverte : la formidable Kinuyo Tanaka. Et songeons à l’énorme perte pour le septième art s’ils n’avaient pu être cinéastes…