Big Fish.
A l'écran, des personnages plongés dans une misère brillamment retranscrite, un malheur qui semble les contaminer tous. De l'autre côté de cet écran, des spectateurs qui eux, pendant une heure cinquante, côtoient une certaine idée du bonheur. C'est que le film d'Andrea Arnold est un petit bijou, un véritable choc qui ne cesse d'impressionner de par sa qualité documentaire, la pertinence de sa mise en scène, l'interprétation admirable de ses acteurs parmi lesquels une splendide révélation en la personne de Katie Jarvis.
Dans la grande tradition du film social à l'anglaise, Fish Tank est une oeuvre dure et presque sans concessions sur une réalité difficilement supportable. Presque, parce que le film ne sombre pas non plus dans un pessimisme absolu où les échappatoires seraient inexistantes. Fish Tank a plus l'air d'un film dont le personnage principal est malheureux, mais qui trouve parfois des sorties salutaires, des bouffées d'air frais qui sont de véritables scènes de grâce au sein du film. Il y a des moments tendrement époustouflants, des choses qui arrivent sans que l'on s'y attende et qui émeuvent parce qu'on se dit qu'enfin, il y a un peu de poésie dans ce monde brutal. Poésie qui passe par la mise en scène elle-même ( les ralentis par exemple, comme une manière de déjouer la rugosité ambiante ) ou par les simples faits. La plupart du temps, ces derniers sont la conséquence de la relation entre Mia et Connor, lequel est un soutien total à la jeune fille ( au sens figuré, mais aussi au sens propre, les scènes où il la porte, la soutient, l'aide à avancer physiquement ne manquant pas ). Des moments suspendus où le poids du déterminisme social et ses lourdes conséquences sont balayés d'un revers de main pour laisser la place à l'espoir, au sentiment que dès cet instant, les choses vont aller mieux. Quelque part, Fish Tank donne l'impression d'être une sorte de feel-good movie avec ceci de paradoxal que ce qu'il décrit n'a rien de réjouissant. Mais plus que le portrait sociologique d'un monde démuni, c'est bien quand il s'échappe vers des sphères poétiques que le film touche en plein coeur et laisse espérer du meilleur pour ses personnages.
Du meilleur, mais en même temps on se demande comment les choses pourraient être pires, et comment surtout la moindre progression positive ne pourrait pas être meilleure...Mia subit donc le déterminisme et sa violence systémique, sa propension à ne laisser quasiment aucune chance à qui voudrait en sortir. Et puis il y a l'autre, qu'il s'agisse d'autres filles du quartier qui la rejettent, ou pire, de propres membres de sa famille pour qui la notion de famille n'a justement l'air de rien d'important. Mia est seule, jusqu'à l'arrivée de Connor donc. Mais même là, il y a un problème, qui cette fois vient plus précisément de la jeune fille, sorte d'animal sauvage qui parce qu'elle a été élevée dans la jungle ne peut qu'appliquer les lois d'un tel environnement. Dès lors, on comprend l'agressivité de la jeune fille, sa manie de sortir la carapace, par fierté, par égoïsme. Par peur plus certainement. Et le film est aussi touchant parce qu'il raconte un éveil au monde, la révélation d'une adolescente ( en même temps que d'une actrice ) à elle-même, la compréhension qu'elle commence à avoir de son corps, et par extension, de son identité. C'est évidemment le propre de l'adolescence d'être dans un entre-deux, quelque part entre l'enfance et l'âge adulte, et le film multiplie les signes d'un passage, faisant par exemple référence à Sciuscia ( le cheval ), autre grand film sur l'enfance et la confrontation à la réalité sociale, ou proposant des signes discrets qui en disent long sur l'évolution de son personnage ( le ballon qui s'envole à la fin est un ultime exemple ).
La beauté de ce cinéma c'est qu'il ne juge pas, mais qu'il essaye davantage de comprendre ceux et celles qu'il filme, et son scénario formidable ne peut qu'aider à l'implication ( les dialogues sont grandioses ). Drame d'une intense beauté, porté par une énergie folle et des fulgurances de mise en scène époustouflantes, Fish Tank est aussi un film de paradoxes qui se ressentent dans California Dreamin', ou dans une scène poignante où deux soeurs s'embrassent en se disant " I hate you ". Un choc.