Le film parfait n’existe pas, et c’est parfois juste une question de détails. Même si Alain Corneau nous sert un cadre exquis, parfaitement maîtrisé, avec une image soignée, nette, voir même hygiénique et maniaque comme l’héroïne qu’il nous dépeint, il ne réussit pas un chef d’œuvre mais juste un bon film. Pourtant il soigne bien ses acteurs avec une réalisation quasi parfaite, et plus particulièrement concernant Ludivine Sagnier que l’on découvre comme jamais on ne l’a vu précédemment sur un plan de profil, ou bien encore sous une douche, ou même lorsqu’elle se regarde dans un miroir. Il en exploite toutes les facettes très intelligemment. En ce qui concerne l’action, rien ne bouge à l’écran mais tout se passe à l’intérieur, sauf au moment ultime quand la caméra descend d’un cran pour nous signaler que c’est maintenant. Elle perd pied mais garde le contrôle suffisamment pour ne pas basculer, métaphore psychologique de l’assassin schizophrénique froid qui accomplit son œuvre. Le souci du détail visuel existe au point de penser à donner le nom de notre cadre à sa place de parking comme il se doit dans toute grande entreprise.
La forme est donc réussie, mais le détail qui ne me convient pas, c’est le fond. Gros détail tout de même. L’idée de mélanger des rapports ambigus de la hiérarchie sociale au triangle amoureux est excellente. La tension entre les personnages est bien interprétée, on ressent le malaise crée. Cependant, on frôle parfois la caricature à vouloir pousser les caractères trop loin. Machiavel tend parfois vers JR de Dallas, et la scène d’hystérie dans l’ascenseur et le parking n’est pas crédible car surjouée. Mais ce n’est pas le pire. Le pire est que le scénario et une économie de moyens sur un détail, justement encore, viennent mettre à mal l’appréciation positive de ce film. Le problème est que les ressorts dramatiques ne tiennent pas debout. Une histoire de mail de menace tout d’abord énervante : comment imaginer qu’une personne très intelligente se fasse piéger de la sorte alors que les boites mails donnent les horaires d’envoi et qu’à ce moment la piégée est en compagnie d’une dizaine de collaborateurs en réunion. Passons. L’enquête est pire : pour une enquête criminelle, on a franchement envie de rire des moyens mis en œuvre. Tout commence par un crime mal mis en scène puisqu’il manque d’hémoglobine. Après trois coups de couteau dont un en plein cœur d’une bonne lame bien enfoncée, le sang devrait couler à flot et non en un mince filet. Ensuite, dans de telles conditions, comment imaginer que le mort puisse écrire quoi que ce soit. Les flics sont cons, le Procureur lamentable, ce n’est pas une critique de Corneau mais une facilité pour développer l’objet de son histoire plus linéairement. Comment peut-on imaginer de nos jours, que sur des perquisitions, des flics n’aient pas de gants ou manquent une écharpe dans un meuble de rangement de vêtements ? Et l’analyse toxicologique d’une accusée qui permettrait de révéler qu’elle n’est pas shootée semble elle aussi plus qu’évidente. Des séries policières font beaucoup mieux que cela.
Enfin, je n’aime pas du tout l’économie de moyens qui veut nous faire croire que l’on est au Caire en affichant simplement Le Caire en incrustation à l’écran. Pas un plan de coupe de la ville, juste une réunion dans un bureau parisien avec des arabes et un appel à la prière entendu depuis un hôtel tout aussi parisien. Là j’ai vraiment l’impression d’être pris pour un con en tant que spectateur.
Voilà donc un fil bien agréable visuellement, mais assez désagréable intellectuellement.
F.O